De l’importance de savoir s’arrêter…
Constance Guisset : Quand on s’est arrêté de bouger, j’ai repris frénétiquement le dessin, pas forcément d’objets. Je me suis octroyé une sorte de pause mentale puisque j’ai continué à travailler par ailleurs. Mais le fait de n’être ni en réunion ni en déplacement m’a fait gagner du temps pour une forme d’exploration immédiate. J’ai produit quelque chose comme 70 dessins, de formes plus ou moins automatiques, en recherchant certaines couleurs. J’y vois une exorcisation des anxiétés sous forme d’ectoplasmes qui ont fait sortir la peur. Cela a aussi entraîné ma main. Auparavant, je dessinais de cette façon uniquement pendant les vacances. Je peux passer un mois à faire de la terre, de l’aquarelle ou des assemblages, des collages, des chimères. Quand j’étais étudiante, j’écoutais mais je faisais autre chose avec mes mains. Alors que quand on travaille, c’est difficile de s’échapper parce que cela se voit ! (Rires). C’est un espace de liberté qui s’est ouvert sous mon Zoom.
La communication des produits, c’est capital ou l’on pourrait imaginer de les laisser parler d’eux-mêmes ?
Je fais partie des gens qui pensent qu’un bon objet, s’il l’est vraiment, peut aller au-delà tout cela. Quand j’ai dessiné ma lampe Vertigo, il y a eu un peu de communication dessus au début. Mais il y a un moment où l’objet est face à lui-même, dans un magasin, face au marché et aux gens qui veulent l’acheter. Et là qui que vous soyez, la conviction se fait sur l’objet mais aussi sur l’équilibre entre le prix et la qualité de fabrication. Parfois, la communication porte énormément les objets. Mais un très bon objet, s’il est très bien maîtrisé comme c’est le cas chez Petite Friture qui fabrique très bien, peut être supérieur à la communication. La distribution importe aussi. Sans elle, la communication ne sert à rien… Pour moi, la distribution est supérieure à la communication. Vertigo est un objet qui a fait son propre chemin hors des rails de la communication.
Qu’aviez-vous prévu de montrer au Salon de Milan 2020 ?
J’avais une grande exposition monographique prévue à l’Institut Français de Milan, qui est reportée à l’année prochaine. Je devais également présenter un nouveau produit avec Petite Friture, un avec Ibride : pas mal de choses qui sont juste reportées. Comme la Philharmonie des enfants, un espace pérenne autour du jeu et de la musique. Rien n’a été annulé, ce ne sont que des projets reprogrammés…
Quelles questions soulèvent selon vous la prochaine édition du Salon de Milan ?
Sur fond de ce mélange d’hébétude et de vision du futur, tout un champ des possibles est ouvert. On peut imaginer prendre plus de temps qu’une semaine. Les partenaires souhaitent-ils être là chaque année ? Les énergies pourraient se répartir différemment… Va-t-on échanger autrement ? Jusqu’à quel point peut-on développer des expériences virtuelles ? Y aura-t-il autant de monde ? Va-t-on autant voyager en 2021 ? Autour du Salon du Meuble lui-même se fédèrent ses enfants parfois plus nombreux ou meilleurs que la Fiera elle-même. Quelle envie aurons-nous tous d’y aller ? Il va falloir se réinventer, notamment la pérennité des choses, une manifestation sur deux semaines avec des stands ou deux marques collaborent l’une après l’autre. L’idée serait de faire l’économie de matière, d’y introduire, pourquoi pas, du virtuel et du réutilisable…
On parle beaucoup de bien-être chez soi et de vente en ligne. La figure du designer qui fabrique à échelle raisonnable s’impose-t-elle davantage ?
L’importance attachée à la fabrication de qualité, à la main, s’amplifie. Il s’agit de choses qu’on peut envoyer facilement et qu’on ne voit pas partout. Il y a un rapport à la préciosité de l’objet qui, apprécié une fois en main, évoque plus la qualité que la profusion.
Cette pause générale a-t-elle des aspects positifs ?
Paradoxalement, être enfermé chez soi peut amener à regarder différemment son lieu de vie, l’observer et en mesurer qualités et inconvénients. Le rapport à la lumière devient très important. Un rapport à l’extérieur se fait aussi. On devient plus conscient d’où sont les points de fuite, de perspective. Je me suis toujours arrangée pour avoir dans mes espaces intérieurs une vision vers l’extérieur. Je me rends compte d’à quel point ces perspectives sont essentielles.