Couple star du monde du design, Charles et Ray Eames ont bouleversé la conception du mobilier et de l’architecture au xxe siècle. Né en 1907 à Saint-Louis, dans le Missouri, Charles Eames (1907-1978) étudie tout d’abord l’architecture à l’université de Washington, où il rencontre Catherine Woermann, sa première femme, mais également la mère de son seul et unique enfant, Lucia. Il n’y reste que deux ans car il est jugé trop moderniste. Ses prises de position en faveur de l’architecte américain Frank Lloyd Wright lui vaut son renvoi. C’est alors qu’il décide d’ouvrir sa propre agence, en 1930, dans le souci de perpétuer son indépendance et sa liberté.
Née en 1912 à Sacramento, en Californie, Ray Eames (1912-1988), de son nom de jeune fille Ray Kaiser, étudie la peinture à New York auprès d’Hans Hofmann. Le travail du peintre allemand influence durablement Ray qui développe un sens de la couleur essentiel dans les créations postérieures du couple Eames. C’est à la suite de cet apprentissage que Ray Kaiser débute des études à l’Académie des Arts de Cranbrook en 1940. Elle y fait la rencontre de Charles Eames, alors professeur et directeur du département de design industriel.
Une rencontre à l’alchimie créatrice
Les premiers échanges créatifs entre les deux artistes ont lieu lors d’un concours organisé par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Alors que Charles Eames et son ami proche et collaborateur, l’architecte et designer Eero Saarinen, participent à cette réflexion intitulée « Organic Design in Home Furnishings » (« Design organique pour le mobilier de maison »), quelques étudiants, dont Ray Kaiser, les assistent. Leur attrait commun pour un mobilier alliant art et technologie donne finalement naissance à une complicité entre le professeur et son étudiante, qui finissent par se marier en 1941.
Le jeune couple s’installe par la suite en Californie, où il poursuit ses travaux sur le moulage du contreplaqué. Très vite, ils développent à cet effet une presse spéciale : la « Kazam! Machine ». Le perfectionnement de leurs techniques est tel que, durant la Seconde Guerre mondiale, Charles et Ray Eames se voient réquisitionnés par la marine américaine pour produire, entre autres, des brancards ainsi que des attelles sans danger – celles d’alors pouvant potentiellement surblesser les soldats. Leurs découvertes les poussent à établir leur propre studio de design.
Un succès fulgurant : les débuts du Eames Office
Aussi fondent-ils, en 1943, le Eames Office dont l’objectif premier est, selon les mots de son fondateur, « de produire le meilleur pour le plus grand nombre au coût le plus bas ». Pour le couple avant-gardiste, il ne s’agit pas de concevoir une espèce d’« art pour l’art » mais bien des objets utiles. Leur démarche inclut aussi la volonté de vendre à bas prix afin de démocratiser le design. Si pour eux la fonction doit passer avant le style, le style Eames reste singulier : l’utilisation de matériaux industriels et propices à une production de masse, des lignes simples et sans fioritures, et la recherche d’une ergonomie optimale constituent le fil rouge de toutes leurs créations.
Outre le travail du contreplaqué, Charles et Ray Eames étendent leur art à de nombreux domaines. Curieux et touche-à-tout, leur œuvre est, en conséquence, pluridisciplinaire. Mobilier, architecture, design graphique, films documentaires et publicitaires ou encore jouets. Leurs créations les plus notables sont certainement leurs chaises – qu’elles soient en moulage de contreplaqué comme la LCW (Lounge Chair Wood, 1946), en métal comme la Wire Chair (1951), ou encore en plastique comme la Plastic Side Chair DSS (1954) – mais leurs créations mobilières ne se limitent pourtant pas aux assises. Le couple s’est également attaché à concevoir des tables, des unités de rangement comme la Eames Storage Unit (ESU, 1950), des patères ou des bureaux.
Des chaises emblématiques
Toutefois, les chaises sont sûrement les plus représentatives de leur génie dans la mesure où elles concilient les principaux matériaux industriels utilisés par le couple au fil de sa carrière : le contreplaqué, la fibre de verre et l’aluminium. Soucieux d’innover, Charles et Ray Eames n’ont en effet eu de cesse de se pencher sur les technologies capables d’augmenter le confort tout en amenuisant le coût de fabrication. C’est la raison pour laquelle ils se sont tout d’abord largement intéressés, dès les années 1940, au moulage du contreplaqué. L’avantage d’un tel matériau était alors d’offrir un siège léger mais résistant, confortable et peu onéreux, car simple à produire en grandes séries.
À partir de 1950, le couple commence à utiliser la fibre de verre – autrement dit, un plastique à renfort de verre –, notamment pour la conception de la série de fauteuils baptisée Plastic Shell Group of Chair dont fait partie la chaise à bascule RAR (Rocking Armchair Rod, 1950). À l’instar du contreplaqué ou de l’aluminium, également récurrent dans leurs créations, le matériau est particulièrement adapté à la production de masse puisqu’en plus d’être résistant, il est très bon marché.
Les Eames, un succès durable
Force est de le reconnaître : la philosophie avant-gardiste de Charles et Ray Eames a su traverser les décennies sans subir le poids du temps. Les créations du couple sont toujours produites et commercialisées de nos jours par Hermann Miller pour les États-Unis, et Vitra pour l’Europe. Deux éditeurs qui, déjà de leur vivant, étaient leurs partenaires privilégiés. La ventes des chaises Eames représente aujourd’hui encore une part importante du chiffre d’affaire de ces sociétés. En 1952, les chaises en contreplaqué permettaient à Herman Miller d’établir un record commercial avec la vente de 21 526 chaises. Récemment, un grand distributeur De mobilier contemporain français confiait à IDEAT que les chaises Eames pouvaient représenter jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires…
Une contribution architecturale majeure
Quant à la contribution des Eames à l’architecture, elle est tout aussi notable. Leur mot d’ordre est simple : le travail de tout bon architecte est de parvenir à anticiper les besoins des futurs habitants. La House n°8 (1949), le show-room d’Herman Miller (1950), ou encore la De Pree House (1954) sont probablement les plus connus. La House n°8, qui devient leur domicile par la suite, tout comme la House n°9, ont été construites dans le cadre du Case Study House Program, projet sponsorisé par le magazine Arts & Architecture dont l’objectif est de montrer des maisons modernes et économiques qui n’utilisent que des matériaux industriels appropriés au contexte d’après-guerre. Posée sur les collines de Los Angeles, cette maison est encore considérée aujourd’hui comme l’une des constructions les plus importantes des fifties.
La House n°8 incarne la quintessence du mode de vie des Eames : vie quotidienne et travail sont parfaitement entremêlés. L’organisation de l’infrastructure le traduit visuellement par la présence de deux blocs rectangulaires distincts : l’un est en verre – il s’agit de leur résidence –, tandis que l’autre est en métal et abrite leur studio. À l’instar des matériaux utilisés (le contreplaqué et des matériaux plastique), les couleurs rappellent les travaux du couple dans le mobilier. Les façades sont essentiellement habillées d’éléments aux couleurs industrielles comme de grilles noires comblées d’inserts de verre, de finis boisés, d’aluminium, et de stuc blanc cassé, noir, bleu ou encore rouge-orangé. La bâtisse oscille ainsi entre transparence et translucidité du verre, le tout ponctué de couleurs qui attirent l’œil.
Un héritage aussi conséquent que leur grand œuvre
À la mort de Ray Eames, en 1988, soit dix ans jour pour jour après celle de son mari, l’héritage laissé par les deux artistes est entièrement légué à la fille de Charles, Lucia Eames. Très impliquée dans la conservation ainsi que la diffusion du patrimoine légué, elle prend la tête de la Fondation Eames qu’elle crée pour participer à la sauvegarde de leur travail. Afin que son entreprise fasse sens, elle décide d’établir la fondation au sein même de la House n°8, à Los Angeles. De plus, dans une volonté de préserver certaines œuvres, certaines ont été confiées à la Library of Congress de Washington.