Les rameurs souquent en rythme et leur esquif semble glisser sans bruit sur la tête taillée en brosse des pins parasols. C’est l’heure où les esprits se réveillent et déjà le spectacle est sur la mer, encore nappée de brume. Barques de pêcheurs, pointus surchargés de familles, voiliers inclinés par la brise : le défilé, hypnotisant, célèbre l’union sacrée entre les hommes et les dieux. L’air sent le sel et le myrte. Par-delà la table croulant sous un opulent petit déjeuner, la vue balaie la baie de Cassis, comme un travelling.
À gauche, l’entrée du port sur fond de clocher puis cette crête rocheuse tout en rondeur surnommée la Couronne de Charlemagne, où se lovent les vignobles ; en ligne de mire, le cap Canaille, un géant dont les falaises rousses chutent à la verticale dans la mer ; enfin, au sud, la Méditerranée, qui brille comme un diamant, filant droit vers le large. Ce panorama saisissant, qui inspira les fauves et les pointillistes, est le cadeau du matin offert par Les Roches Blanches. Il y en aura d’autres.
Tout le monde, à Cassis, connaît cet hôtel mythique, né dans les années 20, pour y avoir vécu un mariage ou un anniversaire d’anthologie. Les années de flamboyance ont vu Churchill peindre des paysages depuis le balcon de sa chambre attitrée, Édith Piaf faire résonner son rire et les starlettes de Marcel Pagnol se prélasser au bord de la piscine.
Ces dernières années, l’institution s’était doucement assoupie, chagrinant ses habitués, jusqu’à ce que deux amis parisiens, fous de son atmosphère surannée et de l’imprenable panorama, se lancent tête baissée dans l’aventure d’une renaissance. Bien décidés à faire entrer cinq étoiles dans un établissement qui n’était plus que l’ombre de lui-même. « Lorsque nous avons sondé les lieux, nous avons compris que nous n’avions pas d’autre choix que de tout faire tomber pour ne garder que quatre murs », raconte l’architecte Monika Kappel.