Carl Hansen & Søn c’est une marque discrète, bien connue des passionnés de design scandinave, qui s’est épanouie dans l’ombre de Fritz Hansen ou d’autres concurrentes plus confidentielles comme Fredericia, PP Møbler ou House of Finn Juhl. Cent treize ans après sa naissance en 1908, l’éditeur danois connaît une seconde jeunesse grâce à Knud Erik Hansen.
Malgré son âge avancé, le petit-fils du fondateur multiplie les projets et les collaborations depuis ses bureaux de Fionie, au cœur du Danemark, une île sur laquelle le siège et l’usine de Carl Hansen ont déménagé plusieurs fois, avant de se poser, il y a quatre ans, dans un nouveau lieu. « J’ai imaginé un ensemble de bâtiments pour une surface six à sept fois plus grande que la précédente, dans cette île située à deux heures et demie de Copenhague : 15 000 m2 de sites de production et de bureaux, l’une des usines les plus modernes d’Europe où travaillent 400 personnes, les meilleurs artisans danois, d’excellents charpentiers dont 25 apprentis qui s’entraînent dans un atelier où ils découvrent nos propres techniques », se targue Knud Erik Hansen.
Une fabrication quasi-autonome
C’est aussi l’avis de Pierre Raguideau, fondateur de la Galerie Pierre Arts Design, amateur et collectionneur de mobilier danois : « Ce qui fait la signature de Carl Hansen, c’est surtout sa qualité exceptionnelle de production, à nulle autre pareille, que l’on retrouve même dans les productions actuelles et pas seulement dans celles d’autrefois. » Alors que la plupart des éditeurs délocalisent leur production, Carl Hansen fabrique la quasi-totalité de ses collections dans sa propre usine.
L’autre signature, ce sont les pièces iconiques de son plus célèbre designer, Hans Wegner. « Pour moi, Carl Hansen évoque surtout la production des premiers sièges emblématiques de Hans Wegner, les plus beaux d’entre eux comme la mythique Wishbone Chair ou CH24, la CH25, toute simple avec son assise en corde de papier, et la très graphique CH29 », explique le galeriste parisien en caressant du regard ces deux derniers sièges qu’il expose.
Un design d’après-guerre
De fait, si Carl Hansen fonde sa propre manufacture alors qu’il n’est encore qu’un jeune charpentier, c’est son fils qui fera entrer cette maison dans la légende du design danois. Après la guerre, Holger Hansen a conscience qu’il doit produire des pièces plus modernes et en série. De passage à Copenhague, il entend parler d’un architecte qui dessine des pièces avant-gardistes.
Il demande alors à le rencontrer. Hans Wegner, jeune et méconnu à l’époque, arrive avec ses croquis sous le bras. L’entente sera immédiate. « Ils étaient jeunes et se complétaient bien : mon père était très doué pour le commerce et le marketing et Hans Wegner, un génie du dessin et de l’ergonomie. S’il était plus à l’aise avec la petite série, son épouse, elle, était très favorable à l’idée de faire du volume et elle a réussi à le convaincre », rappelle l’actuel P-DG. Il dessine alors une impressionnante série d’assises, spécialité de Carl Hansen, dont la chaise Wishbone, qui demeure le best-seller de la maison.
Un investissement colossal
Et si Wegner ne dessine que des chaises pour Carl Hansen, l’éditeur s’allie, lui, avec des entreprises du secteur de la maison, qui fabriquent d’autres typologies de meubles créés par le maître. Ces cinq maisons imaginent alors un catalogue commun en 1953, qui propose l’ensemble des pièces de Wegner.
Lorsque le père de Knud décède en 1962, c’est sa mère, femme au foyer, qui reprend l’entreprise, avant son fils. En 2002, Knud rachète les parts de son frère et construit une nouvelle usine. Mais il a surtout l’idée de développer un réseau de commercialisation directe, sans agents, dans le monde entier. Résultat, Carl Hansen est présent dans 60 pays et possède 17 flagship-stores dans le monde.
« Collaborations avec des designers contemporains »
L’intuition de Knud : racheter de petites entreprises du pays, qui collaboraient avec des architectes et des designers de l’âge d’or du design danois (de 1930 à 1980), pour rééditer des pièces oubliées. C’est ainsi qu’il a ajouté à son catalogue le designer Ole Wanscher et sa chaise Colonial ou « le premier architecte moderne danois », Kaare Klint, dont il a acquis les droits de production. « Nous sommes une marque d’héritage. Nous avons une histoire et nous discutons beaucoup de ce que nous voudrions remettre en production. Par exemple, nous avons récupéré les droits de l’entreprise Rud. Rasmussen. Nous sommes tombés sur des archives incroyables dont nous avons scanné 3000 dessins », explique Mads Odgård, directeur du design chez Carl Hansen et en charge du catalogue en perpétuelle évolution.
« Des pièces sorties de production sont à nouveau proposées quelques années plus tard. À tel point que certains en réservent une à l’avance lorsqu’ils savent que nous allons les rééditer », explique le designer. Mais l’éditeur ne se contente pas de regarder dans le rétroviseur et collabore également avec des designers contemporains, par exemple Ilse Crawford, qui a dévoilé une nouvelle palette de couleurs pour cinq pièces maîtresses de Hans Wegner. « On se doit de collaborer avec des designers contemporains comme le studio EOOS, qui a dessiné le canapé modulaire Embrace, une typologie inconnue dans les années 50 et qui nous semble pertinente aujourd’hui », détaille le directeur du design.
Retour vers le futur
Également prévues à la rentrée, la T-Chair, d’Ole Wanscher, « une assise qui était dans nos archives et produite à l’époque par une entreprise que l’on a rachetée. Une pièce très complexe à produire, mais iconique. Et c’est ce qui fait la richesse d’une entreprise familiale comme la nôtre. Nous pouvons proposer des modèles complexes à très peu d’exemplaires et d’autres qui relèvent presque de la production de masse », poursuit Mads Odgård.
Enfin, en homme d’affaires avisé, Knud Erik Hansen a également compris que la diversification était une autre clé de la réussite de l’entreprise. « Depuis dix ans, nous développons de plus en plus notre unité contract à destination des professionnels, avec notamment l’inauguration d’une usine au Vietnam, pour le mobilier outdoor. » Avec une idée en tête : « Passer à mes fils un business en bonne santé afin que Carl Hansen demeure toujours une entreprise familiale. »