Le légendaire hôtel Carlton, à Cannes, vient de rouvrir ses portes après un lifting opéré par l’architecte d’intérieur Tristan Auer. Sept ans de travaux furent nécessaires à l’ensemble des équipes pour rajeunir ce bâtiment vieux de 110 ans et dont de nombreuses parties sont classées à l’ordre des Monuments Historiques.
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Il est l’un des symboles les plus flamboyants de la Riviera. Reconnaissable entre mille avec ses deux coupoles et sa façade Belle Epoque, l’hôtel Carlton est à la Croisette ce que la Tour Eiffel est à Paris : un phare. Depuis son inauguration, il n’a cessé d’être le rendez-vous des grands de ce monde, entre célébrités sous les projecteurs et politiques en réunion — la première Conférence de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU) s’y est d’ailleurs tenue.
Impossible, bien sûr, d’évoquer le Carlton sans parler du Festival de Cannes. Écrin officiel des stars, son porche et son lobby se retrouvent chaque année mitraillés alors que les vedettes s’en échappent dans leurs tenues rutilantes. Soulignons que s’y tint le premier match sur terre battue (un revêtement inventé à Cannes alors que le gazon brûlait au soleil) qui opposa Suzanne Lenglen à Helen Wills en 1926, et que fut également construite la première plage d’hôtel de la ville.
Une renaissance monumentale
La métamorphose du Carlton Cannes a nécessité sept ans de travaux, deux ans et demi de fermeture et le talent des meilleurs artisans d’art. Plus que tout, il a nécessité une vision. Celle de l’architecte d’intérieur Tristan Auer dont l’expertise s’est déjà frottée aux grands monuments français, du Crillon à l’hôtel Le Scribe.
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Epaulé par les architectes des monuments nationaux, Tristan Auer a imaginé puis conduit cette première rénovation historique depuis 40 ans en l’inscrivant d’abord dans la continuité de la destinée de l’hôtel. Il a également remodelé l’entièreté des espaces intérieurs afin d’en faciliter les flux.
L’architecte d’intérieur a également eu la charge de l’aménagement des deux ailes qui ont été créées lors des travaux, soit 32 000 mètres carré d’extension qui abritent désormais 37 appartements et un penthouse vertigineux, doté d’un rooftop, disponibles à la location comme à la vente. Ce U nouvellement formé donne sur un jardin verdoyant (doté d’une piscine, la plus grande à débordement de la région) qui remplace le parking historique de l’hôtel Carlton, désormais enfoui sous terre au même titre que de nombreux espaces destinés au staff, eux aussi pensés afin d’optimiser le confort de chacun. Coût total des travaux ? Environ 400 millions d’euros.
Parce que le parcours de l’hôtel a été repensé en partie, chaque espace se dote d’un caractère bien à lui. Différentes atmosphères se succèdent donc au fil d’une balade au sein du Carlton mais aussi des moments de la journée. On retrouve néanmoins la même sobriété dans tous les espaces à vivre, teintés d’un camaïeu de blancs réveillé par quelques touches contemporaines : céramiques de Vallauris, effet de cannage, jeux de tissage, marbre, laiton et de sublimes compositions florales de l’artiste Djordje Varda.
Les 332 chambres et suites sont luxueuses sans être ostentatoires. Difficile de faire plus confortables que ces cocons à la moquette aussi douillette que sa literie. Ponctuées de quelques touches déco — une suspension en verre teinté, un porte d’armoire tapissée —, la vue sur la Grande Bleue prévaut, mise en valeur par une banquette arrondie qui donnerait envie de s’y affaler avec l’élégance d’une star de cinéma.
Le bar de l’hôtel Carlton rouvre lui aussi ses portes sous une nouvelle mouture, lieu de passage mythique où le chef barman, Franck Gamba, raconte volontiers avoir passé des nuits à servir Mickey Rourke ou Michael Douglas. Le °58 se dévoile d’abord par ses imposants lustres signés Studio Job dans le goût des pendentifs Saint-Esprit. Et puis par son comptoir, en toile de fond, décoré de feuilles d’eucalyptus stylisées en différentes essences de bois de couleurs douces, effet raku.
Deux restaurants proposent aux clients deux ambiances différentes. Le restaurant Riviera joue les stars avec sa salle largement ouverte en front de mer qui se prolonge par une grande terrasse légèrement en surplomb. Une autre interprétation du bassin méditerranéen se déguste au restaurant Rüya qui emporte les papilles du côté de la Turquie, avec une proposition modernisée de la cuisine anatolienne, une première sur la Côte d’Azur.
Le salon Camélia, enfin, est un point de rencontre incontournable à l’hôtel Carlton, qui vit tout au long de la journée et particulièrement au moment du goûter quand il se transforme en salon de thé.
Interview de Tristan Auer, architecte d’intérieur de l’hôtel Carlton Cannes
IDEAT : Comment s’attaque-t-on à une légende telle que le Carlton ?
Tristan Auer : L’hôtel n’avait pas été touché depuis 40 ans et ne le sera pas pendant les 40 prochaines années — le groupe qatari Katara Hospitality, actuel propriétaire, a été le seul à s’engager pour sa rénovation. Je devais donc composer une proposition en lien avec sa légende. J’ai simplement entendu de ce que le Carlton avait à dire. Tout était là : je n’avais rien à ajouter. Il fallait simplement regarder, dépoussiérer, renforcer certaines choses ou encore en alléger d’autres.
Le groupe m’a laissé totale carte blanche après avoir été séduit par une première esquisse qui présentait mes idées initiales, c’est-à-dire l’idée de ne rien chambouler. Pour la suite du projet, mes équipes et moi avons opéré un gros travail de recherche, nous avons interviewé des personnes qui avaient connu le Carlton d’antan, étudié des photos d’archives, regardé des films aussi, comme La Main au Collet (Alfred Hitchcock, 1955) — une idée pas si fructueuse puisque seules les scènes du grand salon ont été tournées à l’hôtel Carlton. Je ne me suis pas laissé perturber par un style, plutôt par une attitude d’ailleurs plus cinématographique que décorative.
Ecrire l’avenir d’un hôtel est-il un exercice périlleux ?
T.A. : Le plus important dans ce genre de projet est d’être dans la juste représentation de la personnalité d’un lieu. Le Carlton n’est pas le Martinez ni l’Hôtel de Paris à Monaco. Il a un vrai caractère. Premièrement, c’est une femme. Je dirais même une vieille dame, très belle, qui a toutes ses rides et vécu des tas d’histoires fantastiques. Elle est délicate, raffinée, a un caractère bien affirmé, un grand nez aussi. Alors, comme on le ferait avec une vieille dame, on a eu des égards pour elle, on ne l’a pas brusquée, on lui a parlé doucement…
Je n’ai à aucun moment fait de la déco. On ne fait pas d’effets quand on s’attaque au Carlton, on ne se fait pas plaisir, encore moins de démonstration. La patte du décorateur doit disparaître. Le plus beau des compliments que l’on puisse me faire est de penser que le lieu a toujours existé tel quel.
Vous êtes aussi intervenu sur le restaurant Riviera…
T.A. : Un restaurant n’est jamais un exercice facile. Celui-ci est ouvert toute la journée. Il fallait qu’il soit énergétique le matin, confortable l’après-midi, chaleureux le soir. Il est ouvert sur une grande terrasse. Nous souhaitions avant tout favoriser le service. Ainsi, nous avons imaginé un parcours autour des flux de circulation afin de permettre au personnel de travailler le plus aisément possible : des service stations à portée d’un maximum de tables, un grand comptoir d’entrée, généreux et accueillant…
L’escalier, surtout vu du rez-de-chaussée, est remarquable.
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais la table sur laquelle se trouve toujours un bouquet de fleur dans les lobbies des hôtels est absente au Carlton. Nous avons fait le choix de l’oublier afin de faire du lobby un véritable lieu de croisement. En toile de fond, cet escalier et son lustre monumental. Il happe l’attention immédiatement.
Quand on s’en approche, on découvre une raquette en bronze plaquée au mur. Elle est une référence au premier court de tennis en terre battue de l’histoire qui fut inauguré à l’hôtel Carlton — ce revêtement était composé de poudre de poteries, notamment façonnées à Vallauris, pour protéger le gazon qui brûlait sous le soleil. Il fut le théâtre du match du siècle, opposant Lenglen à Wills. Voilà l’une des merveilleuses histoires que porte le Carlton dans ses murs.
Le mobilier a été totalement revu. L’avez-vous dessiné ?
T.A. : Nous avons dessiné 80 % des meubles. Pour le reste, nous avons fait une sélection parmi les collections des gens de talents qui font très bien leur travail. Pourquoi s’en priver ? Notamment des grandes maisons comme Vitra, Poltrona Frau mais aussi des talents indépendants comme Studio Job.
Les tenues du personnel sont à l’image de la rénovation de l’hôtel Carlton. D’où vient leur choix ?
T.A. : Au début de ma carrière, j’ai eu la chance de travailler auprès de Grace Leo-Andrieu, qui a inventé le concept de boutique-hôtel à Paris, avec Christian Liaigre en 1995, pour l’hôtel Montalembert. Je lui dois beaucoup, notamment ma vision de l’hôtellerie qui découle largement de la sienne, précurseur. Elle me disait souvent que pour avoir le meilleur service, il fallait rendre les gens fiers de leur travail. Ainsi, elle soignait toujours particulièrement les tenues du personnel. Voilà pourquoi j’ai insisté pour que le staff du Carlton soit aussi élégant que son décor.
> Le Carlton, a Regent Hotel. 58 Bd de la Croisette, 06400 Cannes. Réservations.
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