Vous sentez-vous parfois frustré ?
Ronan Bouroullec : La frustration qu’on peut ressentir en tant que designers, c’est que nos objets sont assez chers… Il y a des raisons à cela : ils sont bien fabriqués, par des éditeurs qui les produisent dans des conditions sociales acceptables… Cependant, beaucoup de mes amis ne peuvent pas forcément se les payer. Plus généralement, personne ne semble rechigner devant une veste à 200 € alors qu’une chaise à 50 € est considérée comme un bien de luxe… La première est très cher payée comparé à son coût de production alors que la seconde représente un défi industriel : il faut investir dans un moule à 200 000 €, répondre à des normes de sécurité strictes… Les objets low cost sont évidemment fabriqués soit dans des conditions sociales terribles soit par des machines. Si un meuble requiert une couturière européenne correctement payée et une usine qui chrome des tubes dans des conditions écologiques acceptables, forcément, ça coûte de l’argent. Et ça, c’est un vrai sujet !
Comment abordez-vous l’espace urbain ?
Pour nous, c’est d’abord un moyen de toucher un public plus vaste. Il y a deux ans, nous avons travaillé à une exposition avec la ville de Rennes. La mairie nous avait invités car nous sommes bretons mais de mon point de vue, ce n’était pas une raison suffisante pour concevoir un accrochage à Rennes ! J’ai donc proposé qu’on fasse quelque chose de durable pour la ville. On travaillé deux ans de façon libre sur « Rêveries urbaines », une exposition conçue comme un cahier de brouillon, où sont notés nos réflexions sur la ville du futur et nos solutions pour les espaces publics (mobilier urbain, fontaines…). L’exposition a eu un certain succès et continue de voyager. En ce moment, elle est à Lodz (Pologne) et bientôt à New York. Mais je suis trop direct pour me frotter aux hommes politiques, du coup les concrétisations ne ces concepts sont difficiles. Néanmoins, le Design District de Miami va inaugurer en décembre un grand système architectural qui produit de l’ombre, de l’eau, de la fraîcheur, sur 400 mètres de long.
Paris est aussi au programme…
Nous avons été choisis pour dessiner les nouvelles fontaines du Rond-Point des Champs-Elysées. Il y a là six bassins dessinés au XIXe qui ont été agrémentés au fil du temps de différentes fontaines. Les dernières ont été piétinés par la foule lors de la victoire de la Coupe du monde de football en 1998.
Il fallait greffer un corps nouveau sur ce contexte historique et symbolique très fort, mais sans être passéiste. Nous avons donc créé six fontaines en mouvement de 17 mètres de haut, comme des arbres qui bougent très lentement. L’eau monte et retombe dans du cristal. Cela devrait être assez surprenant ! Le dispositif sera installé en novembre 2018 dans le cadre d’une rénovation complète des Champs-Elysées. On va sans doute être très attaqués sur ce projet mais ce n’est pas grave car nous l’assumons…
Quelle typologie rêvez-vous d’aborder ?
Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie entre les typologies car je considère que le design, c’est tout ce qui est né de la main de l’homme. De la poignée de porte au pneu en passant par la rampe d’escalier : tout objet fabriqué est design. Il nous reste donc des milliers de typologies à explorer ! Nous avons néanmoins pour principe de ne travailler que sur des objets reproductibles, jamais de projets privés… à quelques exceptions près. Par exemple, quand au début des années 2010, Jean-Jacques Aillagon [le président du Château de Versailles, NDLR] nous a demandé de réfléchir à un lustre, j’ai d’abord refusé car je pensais que nous n’étions pas les bonnes personnes pour ce projet. Mais un comité nous avait choisis et on s’est donc lancé… Finalement, on s’est pris au jeu et ça a été un immense plaisir !
Vous dessinez aussi beaucoup, comment partagez-vous votre temps entre art et design ?
Mon activité artistique, je l’exerce le soir et le week-end, dans le train mais jamais pendant la journée. Même si elles émanent du même cerveau, les deux activités n’interfèrent jamais. Le métier de designer est extraordinaire mais fait aussi à une forme d’intelligence collective, de discussions permanentes avec des graphistes, ingénieurs… L’art est plus immédiat.