“J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. Son puissant pouvoir de contraste donne une présence intense à toutes les couleurs et lorsqu’il illumine les plus obscures, il leur confère une grandeur sombre. Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre”, se plaisait à dire Pierre Soulages. Cette intensité, on la retrouve dans les meubles en bois brûlé qui colonisaient l’édition 2023 de la Paris Design Week. Des pièces sensuelles qui invitent au toucher.
La beauté des éléments de Ludovic Renson et Maison Saman
“Au Japon et dans les pays scandinaves, on brûlait les bardages des maisons de campagnes et des corps de ferme afin de les rendre imputrescible et d’éviter la propagation des flammes en cas d’incendie, explique Alice Laurent, co-fondatrice, avec son marie Antoine Horlait, de Maison Saman. Nous avons vécu dans plein d’endroits en Asie et, au pays du Soleil levant, nous avons côtoyé de nombreux artisans qui travaillaient cette technique, baptisée Yakisugi. Nous nous sommes de suite imaginés lancer une marque de mobilier centrée sur ce savoir-faire, qui permet une grande créativité.” En effet, en fonction de l’intensité du feu, le nuancier varie du châtain clair à l’ébène profond.
Séduit par ce côté fusain, par le veinage mis en valeur par les flammes, le designer et architecte d’intérieur Ludovic Renson toque à la porte de Maison Saman il y a deux ans en vue d’une collaboration. Résultat, la collection Erosion, dévoilée pendant la Design Week à la French Design Galerie dans le cadre de l’exposition du French Design Incubateur (jusqu’au 27 octobre au 120 avenue Ledru-Rollin, Paris XIe) séduit par ses formes organiques, irrégulières, désaxées, par le jeu des matières, quand la froideur du marbre et du laiton flirte avec la chaleur du bois brûlé. “J’ai voulu retranscrire les accidents créés par les éléments, comme les galets sur les plages, usinés par les vagues, raconte le Bordelais. J’aimais aussi l’idée d’avoir des meubles décollés des murs, autour desquels on puisse tourner, comme des îlots, entre œuvres d’art et mobilier.” Difficile d’imaginer d’ailleurs que ces beaux objets ont été fabriqués à partir de chutes de matériaux récupérées.
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Le bois brûlé hypnotisant de Victoria Magniant
Il semblerait que Victoria Magniant ait eu le coup de foudre pour le Yakisugi. Déjà l’an dernier, la bibliothèque et le bureau de sa ligne Ki marquaient les esprits. Cette saison, la designer étoffe sa collection d’une table basse monumentale, composée de trois modules formant un trèfle qui semble défier les lois de la gravité. “Le cerveau est attiré par ce qu’il ne comprend pas. J’ai montré à mon ébéniste, Thomas Lebecel, une table des frères Bouroullec qui me plaisait. Elle semblait toute simple et je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui la rendait si belle. Il m’a répondu “parce qu’il n’y a aucune ligne droite” ! Ainsi, le plateau de la table basse Ki n’est pas totalement plat. Tout le génie de Thomas s’exprime dans les motifs qu’il parvient à créer avec les veinures du frêne calciné, qui prennent ainsi la lumière comme du tissu moiré.” Sublime.
Ultra Noir, le nom de la prochaine collection de la CFOC donne le ton.
Valérie Mayéko Le Héno, directrice du studio de la CFOC, est elle aussi tombée amoureuse du Yakisugi. Elle s’est aventurée à Java, une île volcanique d’Indonésie où les artisans ont réinterprété ce savoir-faire tout feu tout flamme afin de créer une table haute, une console et des tabourets en bois de suar. “Sur le bois s’animent des nervures apparentes, un veinage à l’effet brossé. Sous la gouge de l’artisan, les parties les plus tendres “s’envolent” pour ne garder que la matière dure et ainsi révéler les sillons du bois. L’artisan joue avec le relief. J’aime cette dimension tactile qui rend chaque pièce unique.” Sortie prévue pour janvier 2024.
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A contre-courant, Jean-Baptiste Sénéquier milite pour donner une seconde vie au bois brûlé.
En 2021, un incendie ravage la forêt des Maures, dans le Var. Le bilan est lourd : 2 morts, 24 blessés, 10 000 personnes évacuées et 7000 hectares de végétation dévastés. Originaire de la région, où ses parents, vignerons, vivent encore, le designer Jean-Baptiste Sénéquier voit le feu s’arrêter au pas de sa porte, à 200 mètres du foyer familial. “J’ai été profondément marqué par la catastrophe, et j’ai tenté de comprendre ce qu’on pouvait faire de tous ces arbres morts, raconte le fondateur de l’agence Sénéquier Designclub. Ce sont des forêts domaniales, leur bois n’est donc pas utilisé et la région n’est pas équipée pour l’exploiter. Il n’y a pas de scierie, le terrain vallonné rend les travaux compliqués.”
Car sous les quelques millimètres d’écorces calcinés, les châtaigniers et les chênes lièges et blancs présents dans la forêt des Maures sont encore parfaitement utilisables pour la confection de mobilier. “Le bois est une ressource précieuse, pourquoi laisser ces arbres pourrir par milliers ?” Son projet Bois brûlé, soit des vide-poches fabriqués à partir de ces essences incendiées, sculptés à la gouge et exposés à l’Académie du climat mi-septembre 2023 dans le cadre du festival Anticipation, tente de sensibiliser le public et de faire agir les marques.
