Axel Vervoordt, célèbre antiquaire belge, nous a invité à visiter Kanaal, son deuxième lieu d’exposition situé non loin d’Anvers en Belgique. L’occasion d’un dialogue sur la philosophie de son art.
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Kanaal, temple anachronique
Dans ce temple anachronique, des sculptures thaïes de Bouddha Mon-Dvâravatî des VIIe et VIIIe siècles côtoient des boules en terre cuite de l’artiste mexicain Bosco Sodi, le tout exposé dans une ancienne distillerie du XIXe siècle, dont les colonnes s’ouvrent à une dimension surréaliste, et à vrai dire profane. «Je cherche des choses très universelles, très pures, nous explique Axel Vervoordt, le célèbre antiquaire belge. C’est au fond toujours une recherche à l’éternel actuel».
Le long du canal Albert, dans la commune de Wijnegem, à 30 minutes du centre d’Anvers, Axel Vervoordt y a également installé le siège de son entreprise de 77 employée. En lieu et place d’une ancienne distillerie de genièvre, le lieu, baptisé, Kanaal s’étend sur 55 000 m2 de briques et mortier et regroupe logements, bureaux et 4000 mètres carrés de salles d’exposition. « Il s’agit ici de rendre utile ce qui ne l’est plus. C’est une mentalité que j’ai en beaucoup de choses et c’est selon cet état d’esprit que l’on a restauré le lieu, en gardant les vieux murs, les traces du temps, comme de l’art abstrait, comme les beautés de l’imperfection », note-t-il. Acheté en 1999, il aura fallu 18 années de travaux pour rendre le site exploitable.
L’antiquaire vire à l’est
Axel Vervoordt s’implique très jeune dans le domaine des arts. Son premier projet de taille : la restauration – avec sa mère – de seize maisons Renaissance du centre d’Anvers au début des années 60. Il acquiert au fil des années la réputation d’être l’un des marchands les plus sophistiqués au monde, participe à de nombreuses foires, parmi lesquelles la prestigieuse Brussels Art Fair, où il expose depuis ses débuts. Outre les quelques 25 projets de réhabilitation annuels, son activité comprend du conseil en rénovation d’intérieur ainsi qu’une ligne de meubles et d’accessoires.
« Nous sommes occupés à plusieurs grands projets de bâtisses historiques, de châteaux, d’hôtels particuliers. Rendre vivable une maison, la rendre actuelle tout en la restaurant profondément est notre spécialité », souffle-t-il. Avec une telle approche, ses bons clients deviennent presque toujours des amis. « Selon moi, ceux qui ont les moyens de faire rénover des biens sont intelligents, parce qu’ils ont fait de bonnes affaires. Leur compréhension est assez vive. » Axel Vervoordt n’aime pas les questions trop précises. Sa parade ? Souvent un « je ne sais pas ». Il faut alors insister : « Je signe des contrats de confidentialité. J’ai beaucoup d’amis artistes, des philosophes aussi, c’est très mélangé… Ce n’est pas une sélection par l’argent, ce sont des gens intelligents, de qui j’apprends encore ».
Une clientèle qui a néanmoins évolué. De Belgique à ses débuts, il a su conquérir le marché américain dans les années 1990 pour mieux revenir en Europe dans les années 2000. Depuis s’est opéré un virage à l’est, avec de nouveaux amis situés au Moyen-Orient et une demande croissante en Inde, au Japon et en Chine, celle d’une nouvelle bourgeoisie avide de distinction et de bon goût. « Il faut trouver un dialogue, une osmose même entre l’Orient et l’Occident qui créé pour moi une nouvelle civilisation. C’est la suggestion du futur. Il y a tellement de gens dans le monde, et pourtant je pense que nous vivons dans un milieu tellement restreint », s’étonne-t-il.
Les éditions internationales des magazines d’architecture semblent en effet se ressembler de plus en plus, comme si la mondialisation avait donné lieu à une uniformisation du beau, à une inévitable fusion des cultures. Il fallait peut-être un leader à cette tendance de fond et Axel Vervoordt l’incarne parfaitement. « Notre appétence pour la sobriété, l’authenticité, attire des clients du monde entier. L’art contemporain a toujours inspiré, c’est pour ça que ça vaut tellement. Et les gens qui ont beaucoup de moyens achètent des pièces, car ils voient en elles un message qui les inspire. L’art a parfois cinquante ans d’avance sur les choses plus globales. C’est une philosophie. L’artiste est très libre, il peut très vite par son intuition mettre sur toile une idée, tandis qu’un scientifique doit prouver pendant des années qu’il a raison. »
Axel Vervoordt : « Il est très important que les objets anciens conservent leurs patines d’origine«
Axel Vervoordt s’est particulièrement penché sur le concept de wabi-sabi, esthétique japonaise où la beauté s’exprime dans les choses humbles et imparfaites. « Ma vision du wabi est d’accepter que le temps soit à la fois un créateur et un observateur, décrypte l’antiquaire. Il est très important que les objets anciens conservent leurs patines d’origine, ne soient pas repensés, repolis, redorés, car ils perdent toute leur énergie. Sinon, ils devient tape à l’œil et plus du tout connectés ». Ce spécialiste n’est pas un homme simple et perçoit de son regard, c’est certain, la dimension des mondes. Son style se veut l’expression d’un être intérieur, la visualisation d’un esprit et d’une âme. Mais l’humilité est peut-être ici affichée avec ostentation. « Même en art contemporain je cherche un message très important pour l’évolution de l’homme. Je fournis un effort pour m’entourer d’une énergie positive et être le messager de la force de la paix. C’est une tout autre attitude que faire la guerre. Je pense qu’on ne peut être créatif que quand on a une liberté d’esprit qui permet d’entendre son intuition. »
La visite se poursuit dans l’ancienne chapelle de l’usine, reconvertie en lieu d’exposition. Elle accueille une œuvre de James Turrell, artiste américain qui représente les impressions de lumière du ciel. Au sein de cette église, nous sommes alors plongés dans un noir de jais avec comme seule perspective un écran rouge dont nous avons du mal à distinguer la limite, la profondeur qui paraît, elle, infinie comme peut l’être l’horizon. Un sentiment d’angoisse monte alors, car l’œuvre paraît toucher au sacré et semble vouloir dépeindre une affirmation spirituelle. Un culte ésotérique, comme un enfer monumental.
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