Une vision pionnière qui fait d’Avoriaz, en Haute-Savoie, une destination à part. Cinq décennies plus tard, la station novatrice en matière de tourisme durable n’a rien perdu de son âme.
Une station innovante pour l’époque
De la même manière que Charlotte Perriand a laissé une empreinte indélébile aux Arcs (73), ou que Marcel Breuer est la signature de Flaine (74), Jacques Labro, moins populaire, est indissociable du nom d’Avoriaz (74). Ces personnalités reconnues y ont appliqué des concepts visionnaires, cultivant des approches sensibles quand d’autres cédaient au modèle de « l’usine à ski ». Ces stations ont fait un pari, celui de la différence qui, sur le long terme, s’est révélé payant, façonnant durablement leur image.
Rappelons que dans les années 70, en plein essor des sports d’hiver, les stations poussent comme des champignons et l’architecture est loin d’être une priorité. Aussi Avoriaz, née en 1966, en Haute-Savoie, fait partie des exceptions. Lorsque Jacques Labro s’attelle à sa création, ce ne sont alors que de vastes étendues immaculées, ponctuées d’une poignée de chalets d’alpage. « À cette époque, on nous laissait la liberté d’inventer un site. C’était l’imagination qui parlait », se souvient l’architecte*. Une commande aux allures de carte blanche où il aura tout le loisir d’exprimer sa créativité. Prix de Rome en 1961, Jacques Labro a aujourd’hui 86 ans. Cet amoureux de la montagne a toujours vécu à Paris où il a notamment conçu le quartier de la Grange-aux-Belles, dans le Xe arrondissement.
S’il garde encore un œil sur la station de sports d’hiver, il a passé la main à Simon Cloutier – architecte et moniteur de ski –, qui a repris les rênes de l’Atelier d’architecture d’Avoriaz, créé pour le projet. Ce dernier poursuit aujourd’hui l’extension d’Avoriaz dont il avait fait son sujet de diplôme en 2000. Très proche de Jacques Labro, il a travaillé à ses côtés durant de nombreuses années, notamment pour mener la dernière phase de développement du lieu. Avoriaz est ainsi le grand œuvre de Jacques Labro, auquel il aura consacré une part importante de sa vie professionnelle bien qu’il mènera d’autres programmes en parallèle. Simon Cloutier s’attache, quant à lui, à perpétuer l’esprit d’Avoriaz cher à celui dont il a toujours célébré l’indépendance et la liberté d’expression.
La genèse d’un projet pionnier
En 1963, seul un téléphérique est construit pour atteindre les champs de neige en contre-haut de Morzine alors que la station n’existe pas. Comme aux Arcs ou à Flaine, c’est la rencontre heureuse entre un promoteur, un architecte et une personnalité visionnaire qui crée les conditions du projet ; en l’occurrence, Gérard Brémont (1937-), président de Pierre & Vacances, Jacques Labro (1935-) et Jean Vuarnet (1933-2017), l’enfant du pays, médaillé d’or des Jeux olympiques de Squaw Valley, aux États-Unis, en 1960.
C’est une vision très avant-gardiste qui préside à la création d’Avoriaz, celle d’une station 100 % piétonne, à une époque où la toute-puissance de l’automobile impose sa loi dans la plupart des villes françaises : « Partir de son hébergement et y revenir skis aux pieds, c’est ce qui a conduit tout l’urbanisme de la station et qui prévaut encore aujourd’hui pour chaque construction. Jean Vuarnet a rapporté cette idée des États-Unis et avait cette volonté forte pour Avoriaz : rien n’est pensé en fonction de la voiture, qui n’a tout simplement pas le droit d’entrer dans la station », résume Simon Cloutier.
La concession du site est acquise par Gérard Brémont, en échange de quoi le promoteur a la possibilité de construire 209 000 m², mais aussi l’obligation de financer l’intégralité des infrastructures (pistes, remontées, réseaux, bâtiments publics…). C’est ainsi que le groupe Pierre & Vacances naît à Avoriaz et avec lui le concept qui fera son succès : la résidence de tourisme et son système de défiscalisation, qui accompagne le développement des Alpes françaises dans les années 70.
Le mimétisme plutôt que la rupture
Si Avoriaz ne ressemble à aucune autre, c’est parce que Jacques Labro y a développé le concept d’architecture dite mimétique. Quèsaco ? Une architecture qui entre en accord avec la nature environnante pour mieux s’y intégrer et qui fait la part belle aux matériaux durables. En somme, tout ce qui est, de nos jours, attendu d’une construction écoresponsable. L’architecte a ainsi révolutionné la manière de bâtir en montagne, préfigurant les enjeux contemporains.
À 1 800 mètres d’altitude, Avoriaz se trouve à flanc de falaise, sur un plateau exposé plein sud. Pour dessiner la station, l’architecte abandonne la géométrie traditionnelle, privilégiant son instinct et son ressenti face au paysage. Il va s’inspirer du site, entre la falaise montante et la falaise descendante, pour concevoir l’ensemble des bâtiments et optimiser les vues depuis les logements.
Historiquement, la station s’organise en trois secteurs : le quartier des Dromonts, « incorporé », le quartier des Crozats, « adossé », et le quartier de la Falaise, « dressé », selon les termes de Jacques Labro. Chaque situation géographique provoquait chez lui une intuition différente, le paysage dictait une implantation. Il a développé ainsi une vision à longue échéance, sur le principe de ce qu’il appelait les « unités paysagères », à travers une analyse très fine des lieux, garante de leur pérennité. D’autres quartiers ont vu le jour depuis sans jamais sacrifier les intentions originelles, à quelques exceptions près.
C’est avec une grande liberté que Jacques Labro a imaginé ce projet, en dehors de contraintes réglementaires qui sont nées a posteriori pour encadrer le développement de la station. Plus proche des architectures expressionnistes que purement fonctionnelles, la conception donne lieu à des géométries complexes, s’affranchissant des principes de compositions académiques, à une époque où les axes, la symétrie et les tracés dominaient la pensée urbaine. Avoriaz entre en résonance avec le paysage. Exit le chalet savoyard, exit les barres monumentales. À la rupture, l’architecte préfère le mimétisme.
Plus organique, plus sensuelle, son architecture sort de l’angle droit, privilégiant le dessin à main libre plutôt que l’équerre : « M’adapter au site a été pour moi un geste évident. Cette découverte que la neige était capable de transformer complètement un paysage m’a marqué. Je devais utiliser cette neige dans l’architecture et l’urbanisme d’Avoriaz », se souvient Jacques Labro* pour qui cet élément naturel devient un matériau à part entière. Ainsi, les bâtiments, tous uniques, mettent en valeur ces épaisseurs immaculées par un système de doubles toitures ventilées se déployant jusqu’au sol, de même que les fameux bardages en tuiles de cèdre rouge ont façonné l’image de la station.
À Avoriaz, la liberté des formes est totale, en rupture avec les géométries strictes que l’on avait l’habitude de voir dans les autres stations. Jacques Labro défend donc une autre manière de construire à la montagne, mimétique sans jamais chercher à imiter, esthétique sans être l’intention première. La neige n’apparaît pas comme une contrainte, mais comme la possibilité de transformer l’architecture et le paysage.
Avoriaz, le « slow tourisme » avant l’heure
Après une dizaine d’années de calme plat, une nouvelle phase de développement a été menée au tournant des années 2000 par Jacques Labro et Simon Cloutier avec la construction de quelque 38 000 m² de surfaces. L’occasion pour Avoriaz de monter en gamme avec, entre autres, la réalisation des équipements qui faisaient défaut : une piscine (Aquariaz), une patinoire, un nouveau téléphérique, des parkings couverts pour décharger ses bagages avant d’être acheminé vers son hébergement en traîneau ou en chenillette… Cinq décennies plus tard, le développement reste contenu dans les limites naturelles que Jacques Labro avait fixées pour urbaniser le plateau, ce qui est rarement l’intérêt d’un promoteur. Avoriaz a su conserver son identité à travers son architecture pionnière, parée pour affronter la durée et parfaitement dans l’air du temps.
Depuis 2003, elle est labellisée Patrimoine du XXe siècle de la Haute-Savoie. Si elle fait partie de ces stations de troisième génération, construites ex nihilo, elle a su sortir des sentiers battus. Très prisée, elle mise sur son image vintage et valorise son caractère authentique dont les touristes raffolent. Reposant sur le principe du « sans voiture », elle ne peut s’étendre à l’infini et c’est, de toute évidence, sa chance. Avoriaz se densifie sur elle-même plutôt que de céder à l’étalement dont on connaît les dommages en montagne comme ailleurs.
Force est de constater que le pari d’une station pionnière en matière d’écologie trouve à l’heure actuelle une résonance particulière face aux enjeux environnementaux. Avoriaz n’a pas attendu que ce soit la mode pour s’intéresser à son bilan carbone et en fait aujourd’hui un argument pour attirer les touristes. Elle figure ainsi parmi les quelques stations (Megève, Les Arcs, Chamrousse…) labellisées Flocon Vert, une distinction qui garantit un investissement total dans la transition écologique et une politique de développement durable. Preuve que, même à la montagne, un tourisme responsable est possible.
* Villégiature : l’architecture à l’épreuve du site. Entretien avec Claude Laroche, chercheur à l’Inventaire général du patrimoine culturel de la région Nouvelle-Aquitaine, 2013.
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