Installée à la galerie Sainte Anne dans le 2e arrondissement, l’exposition Royal Fantasy curatée par l’historienne d’art Emmanuelle Luciani est visible jusqu’au 31 janvier prochain. Une installation à découvrir absolument qui était l’occasion pour la rédaction d’échanger avec la fondatrice et directrice artistique du pavillon Southway sur sa démarche.
L’histoire, partie intégrante du parcours d’Emmanuelle Luciani
Passionnée depuis son plus jeune âge par l’histoire, Emmanuelle Luciani s’imaginait enfant dans les venationes – grand amphithéâtre où se tenaient des combats de gladiateurs et des chasses romaines. De quoi lui donner envie de représenter la culture italienne à travers son art. Cet intérêt pour la culture romaine la pousse, après le bac, à intégrer une formation alliant à la fois les beaux-arts et l’histoire de l’art en période médiévale en se lançant dans un double cursus à l’université d’Aix-Marseille et à l’universita di Roma III.
C’est grâce à son envie de lier les arts mineurs et les arts majeurs en étudiant également les mouvements architecturaux américains du 19e et 20e siècle qu’Emmanuelle Luciani décide de fonder le Pavillon Southway. «Récemment, une dame qui est en thèse d’histoire de l’art m’a dit qu’il ne fallait jamais sous-estimer l’apport des artistes dans la construction des récits historiques. Mon art doit devenir un récit, une fantaisie, il est une manière de créer des bulles temporelles». Voilà ce à quoi elle s’attelle dans son studio en compagnie de ses acolytes Jenna Käes – qui expose son tapis «Rebirth of the carpet crawler» au sein de la Sainte Anne Gallery -, Bella Hunt & Dante di Calce, Etienne Marc ou encore Andrew Humke, qui participe de son côté à la conception de magnifiques fresques. « Avec Southway Studio, j’ai voulu créer une sorte de guilde médiévale (une association de personnes, ndlr). Le monde médiéval est un monde qui n’est pas de signature individuelle» analyse Emmanuelle Luciani.
Des influences multiples
Cette exposition, Emmanuelle Luciani l’a pensée comme un ensemble de fantaisies, en s’inspirant notamment d’Anne d’Autriche ou encore du cardinal Richelieu. «L’iconographie française s’est constituée avec des influences italiennes. Le grand style français est né quasiment au moment de la construction du Palais Royal au début du 17e siècle» ajoute Emmanuelle Luciani. Ainsi à la Galerie Sainte Anne, quelques vases Médicis portant un mascaron – la représentation d’un masque mystique qui vise à éloigner les esprits – jonchent les tables. «Lorsque les Français se sont appropriés ces vases – d’origine italienne et datant du 1er siècle avant J.C., ndlr – pour en faire autre chose, c’est devenu de l’art français. L’exposition «Royal Fantasy» n’est donc qu’une référence à cette construction du style français qui vient s’approprier le style italien, ce qui explique son nom», nous éclaire l’artiste.
A peine entré dans la galerie, notre âme est comme transportée dans le passé. Les multiples influences historiques sautent aux yeux. À travers son art médiéval, la commissaire d’exposition fait à la fois référence aux cultures païenne, chrétienne mais aussi italienne. Toutes ses œuvres découlent d’études approfondies et rien n’est laissé au hasard. « Mon travail est le fruit d’une recherche longue. Certains diront que je suis historienne de l’art, d’autres que je fais des arts décoratifs mais tout ça est similaire.» estime Emmanuelle Luciani. L’historienne crée une symbiose poétique entre l’art paléochrétien et l’art païen.
Une nouvelle culture, vivante et authentique
«Aujourd’hui, l’histoire est très instrumentalisée. On a tendance à défendre une sorte de puritanisme historique qui ne correspond pas à la réalité de l’histoire.» ajoute Emmanuelle Luciani. L’historienne aime jouer avec les reliefs – aussi appelés frottements – et les formes : «Je souhaite montrer que l’iconographie chrétienne se construit sur l’iconographie païenne et qu’il y a une porosité et une sédimentation entre toutes ses influences culturelles qui créent une nouvelle culture». Elle aime fusionner son art, ce qui le rend à la fois vivant et authentique. Ses œuvres ne découlent pas de pluralisme culturel mais bien d’une diversité artistique : « Il y a également une portée politique là-dedans, c’est une manière de montrer que l’histoire est à la fois grise et complexe». Avec Charlotte Cosson – co-fondatrice de Southway Studio -, elle imagine en 2013 l’exposition «Oracular/Vernacular», une nouvelle manière de penser l’art : «Nous sommes le maillon d’une chaîne historique formelle et mes réalisations sont des hommages au passé qui créent des visions futures. Mon rapport à la mort, au mystique et au funéraire vient de là».
L’amour que l’artiste porte à sa ville d’adoption, Marseille, se ressent. Elle illustre d’ailleurs dans son art l’histoire d’amour mythologique entre Protis et Gyptis qui a donné naissance à cette ville portuaire. Un récit qui raconte à la fois une fusion entre deux cultures et une transformation. Selon Emmanuelle Luciani, il existe une grande similarité entre Marseille et l’Italie où le moderne s’ancre dans le passé.
Immersive, l’exposition «Royal Fantasy», nous plonge donc dans une aventure fantastique, à l’image des différents récits de Tolkien et autres jeux vidéo qui mêlent influences à la pop culture et mythologies. «Mes œuvres ne représentent ni le passé, ni le futur. C’est justement ce qui m’intéresse, créer du mouvement entre des mondes qui ne devraient pas se toucher» ajoute Emmanuelle Luciani.
Au cœur de cette ambiance médiévale, on est surpris de découvrir un blason Alfa Roméo représentant un serpent qui symbolise les armes de l’influente famille italienne Visconti. Quel rapport avec les armures du 16e siècle ? Il existait au Moyen-âge des armures – dites de parade – conçues à base de cuir et de métal, qui n’étaient portées que par les rois et les princes lors de leurs sorties en ville afin de symboliser leur pouvoir et leur influence. En faisant des recherches, Emmanuelle Luciani s’est rendue compte que les marques automobiles s’inspiraient souvent de ses blasons médiévaux : «L’héraldique médiévale est allée jusqu’à la construction de ses emblèmes de voitures. Pour la plupart, ce ne sont que des relectures formelles. Selon moi, tout est toujours une renaissance ou une reconstruction». L’historienne de l’art à un rapport très particulier à la culture populaire, c’est d’ailleurs son intérêt pour le tuning qui lui a inspiré ce blason et les deux flammes en métal qui le composent.
On le ressent dans son travail, la commissaire d’exposition ne souhaite pas créer d’inégalités entre les cultures, ses oeuvres sont un condensé à la fois de la haute culture mais aussi de la créativité populaire : «Pour moi, ces deux cultures vont ensembles. Je ne vois pas de réelle différence entre une conférence sur l’art gothique, qui est l’une de mes spécialités, et une exposition sur le foot – référence à l’exposition «YOLO Maradona», rendant hommage au footballeur disparu», ndlr.
La renaissance d’un art ancien
Aux références mythologiques se marient, dans cette exposition, des installations plus mystiques. A l’entrée, un vase à souvenir de forme semble reprendre vie dans l’atmosphère de la Sainte Anne Gallery. Ses reliefs mouvants, proches du baroque, nous poussent à imaginer ce que ce vase peut représenter. L’épopée d’Ulysse nous vient en tête. Cet objet mi-femme, poisson, telle une sirène, est envoûtant. « Ce vase est vraiment plus proche du vivant. J’aime l’idée selon laquelle une forme poisson peut devenir aussi une sculpture» ajoute Emmanuelle Luciani.
A l’étage de la galerie, au centre de la pièce, une table est installée. Ses pieds à bas-relief magnifiquement sculptés dans la pierre blanche – faisant penser aux maisons de Santorin, en Grèce – sont typiques de la sculpture gothique et témoignent de la technicité d’Emmanuelle Luciani. L’artiste allie souvent ses origines méditerranéennes à l’art gothique, plus septentrionale. Une manière de faire qui s’inscrit totalement dans l’art qu’elle souhaite partager.
Dans les mois qui viennent, le pavillon Southway a de nombreux projets sur le feu comme une exposition à la Every Day Galerie à Anvers en juin 2022, une exposition au MAMO au printemps ou encore la décoration d’intérieur d’un appartement de collectionneur. Des réalisations à suivre de près !
> « Royal Fantasy » jusqu’au 31 Janvier 2022 à la Sainte Anne Gallery. Ouvert du mercredi au samedi, de 11h à 18h. 44 rue Sainte Anne, 75002 Paris. southwaystudio.com