Deux inscriptions à l’Unesco, rien que ça ! La ville suisse du Locle s’illustrait déjà pour son « urbanisme horloger » sur la Liste du patrimoine matériel. Plus globalement, l’Arc jurassien se distingue, lui, depuis 2020 pour « ses savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art » sur la Liste du patrimoine culturel immatériel. Au cœur de cette reconnaissance, la marque helvète Audemars Piguet a ouvert un nouvel écrin pour ses prestigieuses créations. Une démonstration de plus qu’elle sait vivre avec son temps. Visite.
Une marque horlogère ancestrale
Chrono rattrapante, quantième perpétuel, répétition, phase de lune, tourbillon, squelette… Si ces termes vous parlent, vous voilà à la bonne adresse. Bienvenue chez Audemars Piguet, l’un des fers de lance de la montre à complications. Remontons le temps, justement. En 1875, Jules Louis Audemars et Edward Auguste Piguet, deux horlogers suisses, créent leur atelier au Brassus, dans la vallée de Joux, au nord de Genève. Leur spécialité : la montre à complications, fabriquée en petites quantités, alors que l’industrialisation bat son plein et tend à une production en série.
Pour qui l’ignore, le terme « complications » désigne des fonctions qui s’ajoutent aux classiques heures, minutes et secondes. Repoussant les limites, Audemars Piguet s’établit dès l’origine en orfèvre de la grande complication, sa raison d’être, ce qui pour elle, car chacun en a sa définition, induit un instrument pourvu d’une répétition minute, d’un chronographe à rattrapante et d’un quantième perpétuel. Ce savoir-faire exceptionnel est la marque de fabrique de l’entreprise et fait sa fierté, d’autant que celle-ci reste familiale, avec aujourd’hui à sa tête Jasmine Audemars, quatrième génération de sa lignée, et à ses côtés Olivier Audemars, qui, comme son nom ne l’indique pas, est un descendant de la branche Piguet. Audemars Piguet n’est en rien une société figée dans le passé. En témoignent ses sites de production du Brassus, du Locle et de Meyrin (canton de Genève).
En 2014, l’entreprise annonçait le vainqueur du concours lancé pour créer une extension reliée au bâtiment historique du Brassus. Le bureau d’architecture danois BIG l’emporte avec son étonnant Musée Atelier Audemars Piguet en forme de double spirale, inauguré six ans plus tard. La société poursuit sa quête de modernité, en 2018, avec la construction d’une toute nouvelle manufacture, celle des Saignoles, située au Locle. Elle remplacera l’ancien site, devenu trop exigu. Les architectes du studio Kuník de Morsier ont imaginé un édifice futuriste en verre et en métal perché sur les hauteurs, offrant une vue sur le panorama et dévoilé au printemps 2021. Au même moment, au Brassus, est lancée la réalisation d’un bâtiment de 17 000 m2, relié à l’actuelle manufacture des Forges. Sa forme en demi-cercle lui a fourni son nom, L’Arc, et il a été conçu par De Giuli & Portier Architectes SA. Ses employés s’y installeront à l’été 2024 pour un achèvement total des travaux au printemps 2025.
Le retour de la montre à grandes complications
De la manufacture des Saignoles ne sortent chaque année que 1 200 unités, contre 45 000 au Brassus (50 000 sont prévues en 2022), dont une douzaine à grandes complications exécutées par six horlogers spécialisés. L’établissement façonne également des modèles pour d’autres marques, comme depuis les années 2000 pour Richard Mille. C’est là un héritage de la production du Locle. Dans les années 80, Dominique Renaud et Giulio Papi, formés chez Audemars Piguet, créent leur propre société, Renaud & Papi, avec l’ambition de relancer la montre à grandes complications, dont la fabrication avait quasiment cessé depuis 1935. « En 1992, Audemars Piguet a acquis 52 % des parts de notre société, nous permettant de mettre en place la manufacture du Locle, explique Giulio Papi, aujourd’hui directeur technique de celle des Saignoles. Nous travaillions alors pour eux ainsi que pour diverses marques. Puis, en 2000, ils sont devenus actionnaires à hauteur de 80 %, avant de racheter les 20 % restant en 2018. C’est là qu’est née l’idée de cet établissement, qui traduit l’ambition d’Audemars Piguet d’être la référence de la haute horlogerie et des montres à grandes complications. »
Les 10 400 m2 de la manufacture des Saignoles, répartis sur des demi-niveaux pour respecter la topographie, comptent 18 corps de métiers et divers ateliers : fabrication, décoration, assemblage, recherche & développement (R&D), qualité, service après-vente. S’y ajoutent la logistique, les services administratifs et des espaces de réception pour les clients privilégiés conviés à visiter les lieux. Chaque atelier, baigné de lumière naturelle, donne sur la vallée grâce à d’immenses baies équipées de verre électrochrome SageGlass. Ce système, imaginé en collaboration avec Marilyne Andersen, professeure en technologies durables de la construction à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), permet de moduler l’intensité lumineuse et va dans le sens du bien-être prôné ici. Un travail a d’ailleurs été mené avec un ergonome pour l’aménagement, aboutissant par exemple aux établis Innospace, spécifiquement développés par la société suisse Orma pour Audemars Piguet. Au centre du bâtiment, une vaste place appelée « la piazza » relie l’ensemble. Elle offre un espace informel de détente, de rencontres…
Pensée pour le futur, la manufacture est conçue pour que les ateliers puissent être agrandis si nécessaire. Le lieu semble, paradoxalement, hors du temps et le calme règne ici en maître. Rien d’étonnant : il faut une extrême concentration pour réaliser ces chefs-d’œuvre de précision et de raffinement dont les collections se nomment « Royal Oak », « Royal Oak Offshore », « Royal Oak Concept », « Code 11.59 by Audemars Piguet », « [Re]master01 »… On en perçoit mieux la complexité lorsqu’on se penche sur la boîte (ou le boîtier) au fini impeccable, qui renferme les mécanismes minutieux développés dans le centre de R&D, et sur le cadran, élégamment, voire richement ornementé. Sans parler du squelettage, une décoration de haute volée qui permet d’apercevoir les pièces du mécanisme.
Il faut prendre le temps de s’arrêter sur tous les détails : ceux visibles et ceux que l’on imagine. Car la boîte et le cadran ne sont pas les seuls éléments décorés à la main. Les centaines de pièces qui composent les mouvements le sont également. Anglage, chanfreinage, polissage, grainage circulaire sont quelques-unes des opérations menées avec la plus grande patience. L’assemblage est lui aussi réalisé à la main. Au Locle, un horloger travaille sur quatre mouvements à la fois (contre dix ou douze au Brassus), du début à la fin pour garantir une unité parfaite. Chacun sait d’ailleurs reconnaître, en observant un rouage, s’il en est ou non à l’origine ! Legs du passé, la société forme des apprentis au poste de rhabilleurs, des horlogers capables de réparer intégralement un mécanisme et d’en refabriquer les composants. C’est avec cette attention constante qu’Audemars Piguet continue à créer des montres, appelées aussi garde-temps. Un pont entre tradition et avant-garde.
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