Voilà quelques mois qu’un certain Steve a envahi les réseaux sociaux. Très actif sur Instagram, ce compte affiche régulièrement des clichés de projets d’aménagement intérieur colorés et d’appartements remaniés… Derrière ce pseudonyme se cache une femme, Pauline Borgia, une trentenaire, entrée depuis peu dans la grande famille des architectes d’intérieur… avec de solides atouts. Diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, la jeune femme multiplie les expériences dans des cabinets prestigieux : six mois chez Jean-Paul Viguier, puis deux ans à Hong-kong chez Winston Shu, ancien directeur de Norman Foster, pour qui elle dessine des Apple Store à la chaîne, « une excellente école de méticulosité », selon elle.
Au bout de deux ans, elle veut se frotter à la matière, enfiler des bottes, se rendre sur les chantiers, abandonner son ordinateur et la conception pure. Elle délaisse alors l’architecture pour des projets d’aménagement de lieux déjà existants : appartements, boutiques, maisons… « À mon retour en France, on m’a découragée de m’installer à mon compte, parce que trop compliqué… Mais portée par l’élan de mon expérience hong-kongaise, je n’ai pas lâché », raconte Pauline Borgia. Il faut l’entendre décrire la méfiance des gens qui ne la prennent pas au sérieux, malgré ses études et ses expériences. « C’est en multipliant les chantiers que j’ai pu convaincre. Le bouche à oreille a très rapidement fonctionné », poursuit-elle.
Sa spécialité ? Les appartements anciens, poussiéreux mais avec du cachet, qu’elle révolutionne en douceur. « Pourquoi conserver une moulure si elle n’a pas de sens et qu’elle est de mauvaise facture ? » questionne-t-elle. Elle évite aussi de tomber dans les tics de l’époque, malgré un style qui, de prime abord, se fond dans l’air du temps : « Tout le monde réclame des verrières et des carreaux de ciment. Je suis là pour vérifier que cela a du sens et interroger ces demandes. »
Maligne, elle fait appel à un photographe pour présenter ses intérieurs sous leur meilleur jour, après avoir contacté galeries, boutiques et antiquaires pour les meubler le temps de la séance photo. Parmi ses adresses fétiches, Malherbe Édition, dans le VIIIe, ou Le 7 antiquités, au marché Paul-Bert des puces de Saint-Ouen. « Tout cela a contribué à nous crédibiliser et à créer notre identité », confirme-t-elle.
Une identité claire : le travail approfondi des proportions. « Chaque ligne que je dessine a un sens, explique Pauline Borgia. On joue avec les perspectives, les matières et les couleurs. Je suis férue de menuiseries sur mesure (joints creux, panneaux), j’aime travailler le chêne. J’utilise les aplats de couleur qui me permettent de créer de la verticalité et d’accentuer les plans. J’aime aussi les cloisons courbes qui adoucissent les choses. Rien n’est jamais gratuit. Tout est optimisé et chaque détail compte dans la mesure où nous sommes en général très contraints par l’espace. Un radiateur, un interrupteur, rien n’est négligé. Impossible pour nous de tout démolir. Les appartements sont pour moi de petits objets sur mesure. »
Pour personnaliser ses propositions, elle invite ses clients à répondre à des questionnaires portant sur les matières qu’ils aiment toucher, l’usage qu’ils font de leur salon, etc. L’approche qu’elle développe lui vient d’un souvenir d’enfance, lorsque Alberto Cattani avait refait le domicile de ses parents et qu’il avait bousculé toutes les fonctions. Il s’agissait d’un appartement haussmannien à la distribution typique, qui a été entièrement remodelée et dont chaque pièce a vu sa destination changer. Parmi ses autres sources d’inspiration, on trouve l’architecture japonaise (notamment les transparences de Sou Fujimoto), Pierre David, son professeur à Paris-Malaquais, qui lui a appris la rigueur, ou encore sa maison de famille en Corse, très colorée et à laquelle elle n’a pas encore osé s’attaquer.
Celle qui a tout compris de l’époque s’est associée à une graphiste pour proposer des identités globales et fonder Atelier Steve : « Parce qu’un nom d’homme rassure et qu’il s’agissait d’une référence à Steve McQueen, que nous adorons. » Son rêve : réaliser des projets ouverts au public, « un hôtel ou un restaurant, autrement dit une réalisation visible plus largement, qui rende compte de nos capacités. Ou mieux, une dent creuse (un espace non construit entouré de parcelles bâties, bordé de murs mitoyens aveugles, NDLR) pour vraiment s’amuser et revenir à l’architecture. »
> Atelier Steve. 4, avenue des Chasseurs, 75017 Paris. Tél. : 06 61 42 91 71.