Des couleurs pastel surexposées, des plans scrupuleusement symétriques, des gadgets loufoques et une narration saccadée, l’esthétique réjouissante des films de Wes Anderson est reconnaissable entre mille. Idolâtré sur Instagram ou sur TikTok où son génie visuel est volontiers copié (mais rarement égalé), le réalisateur texan revient avec Asteroid City, un onzième long-métrage dont le casting convoque Tom Hanks, Scarlett Johansson ou encore Margot Robbie.
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Derrière un scénario gigogne et une pléiade de personnages truculents, l’intrigue d’Asteroid City se déroule sur deux plans. Une réalité — filmée en noir et blanc —dans laquelle une troupe de théâtre prépare une pièce à Broadway. Et dont le dramaturge (campé par Edward Norton et librement inspiré de Tennessee Williams) raconte l’histoire à ses acteurs.
Filmée dans les couleurs chamarrées qui font la signature de Wes Anderson, cette fiction en abîme nous embarque en plein désert de l’ouest américain. Dans une ville de 87 habitants qui doit son nom au cratère d’une météorite tombée non loin de là voici plus de 5000 ans. Dotée d’un dinner et ses 12 tabourets, d’un motel et ses dix bungalows, d’une station-service avec une seule pompe et d’une unique cabine téléphonique, Asteroid City n’est pas sans évoquer Roswell avant qu’elle ne devienne mondialement célèbre.
Une comparaison à dessein puisque la petite bourgade — qui s’apprête à célébrer sa Journée de l’Astéroïde — va justement recevoir la visite d’un extraterrestre, perturbant brutalement la manifestation.
Quand l’Espagne se fait passer pour l’Ouest américain
Tandis qu’à quelques kilomètres par-delà les collines, on aperçoit des champignons atomiques provoqués par des essais nucléaires, le film évoque en creux une époque singulière où l’Amérique hésitait entre fascination et crainte face à la modernité galopante et son cortège de technologies. Pourtant c’est en Espagne, dans la région de Chinchón que l’intégralité d’Asteroid City a été tourné. Et même construite de toute pièce par les équipes d’Adam Stockhausen.
Collaborateur fidèle de Wes Anderson depuis 2007 et À bord du Darjeeling Limited, le chef décorateur (oscarisé en 2015 pour Grand Budapest Hotel) fait ériger en dur le dinner, la station-service et le motel au beau milieu d’un champ offrant une vue dégagée à 360° sur des centaines de mètres. « Nous avons imaginé puis fabriqué ces décors en pleine pandémie en communicant à distance avec des gens qui étaient sur place » raconte le set-designer qui délimite le plateau avec d’énormes montagnes et des rochers factices. « Certains font cinq ou six étages de haut et se situent à plus de 300 mètres de distance ».
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Particulièrement immersifs, les décors réels d’Asteroid City sont la clef de voûte de l’hyperréalisme des œuvres d’Anderson qui va jusqu’à faire maquetter le cratère et le vaisseau extraterrestre pour les filmer sans aucun autre effet visuel. Principalement en intérieur, les parties du film se déroulant à New-York aurait pu être tournées en studio.
Mais là encore le réalisateur en décide autrement, investissant de petits théâtres des environs de Chinchón. « Pour l’un des décors, on s’est même retrouvés dans un hangar de stockage d’ail » confie Stockhausen, bravant les odeurs incommodantes pour satisfaire cette matérialité de l’image.
Ode au mobilier vintage
Une fois planté, le cadre d’Asteroid City est aménagé dans ses moindres détails de meubles et objets vintage dégotés alentours par les équipes du film. Coutumières de l’exercice, elles avaient précédemment dévalisé les puces du Mans lors du tournage de The French Dispatch à Angoulême.
Cette fois encore, place au réalisme : chaque élément est soigneusement sélectionné pour façonner un délicieux patchwork visuel teinté du style années 50. Les tissus Liberty se frottent au Jacquard, le Formica côtoie le bois et des papiers-peints motif western se mélangent à des nappes carreaux pour composer un univers faussement foutraque (car méticuleusement orchestré) où des boites Campbell sont disposées en pyramide dans les vitrines et de vieux distributeurs bariolés alignés en file indienne devant l’arrêt de bus.
Plus que jamais Wes Anderson déploie son éternelle palette acidulée — sublimée ici par la blanche lumière du soleil espagnol. Et mille et une trouvailles cinématographiques, comme si George Méliès ou Jacques Tati avaient réalisé 2001 Odyssée de l’espace ou Rencontre du troisième type. Des étoiles qui composent son casting à son scénario farfelu teinté de poésie, en passant par ses décors aussi léchés qu’astronomiques, un seul mot s’impose pour résumer Asteroid City : cosmique.
> Asteroid City de Wes Anderson, en salles le 21 juin 2023