Dans le centre-ville, l’Edifício Copan symbolise le gigantisme urbain de São Paulo survenu juste avant la dictature militaire du Brésil (1964-1985) ; un temps qui représente un statu quo pour la création. Cet immeuble d’appartements et de services de 38 étages dessiné par Oscar Niemeyer en 1951 se dresse vers le ciel telle une Unité d’habitation décuplée à l’infini. On se sent tout petit dans cette « ville dans la ville », très vivante puisqu’elle a conservé ses commerces de proximité. Installé au rez-de-chaussée de cette construction, le centre d’art et de recherche Pivô, incorporant des ateliers d’artistes, montre des créations de toute première fraîcheur.
De nombreuses expositions y sont organisées, avec le soutien de galeries comme Casa Triângulo, qui dispose à l’autre bout de la ville d’un espace conçu par Metro Arquitetos, une agence qui représente la nouvelle génération d’architectes brésiliens. Tout comme Tacoa, qui a signé non seulement Pivô mais aussi la superbe implantation de la galerie Fortes D’Aloia & Gabriel dans une usine textile désaffectée du quartier Barra Funda.
Pensés sur mesure pour la culture, les tout nouveaux Instituto Moreira Salles (IMS), du duo Andrade Morettin, et Japan House, du Japonais Kengo Kuma, dont l’objet est la promotion des savoirs et savoir-faire respectivement brésiliens et nippons, font quant à eux un usage désinhibé de la transparence. Situés le long de la célèbre avenue Paulista, ils rejoignent le MASP de Lina Bo Bardi, dont l’imposant volume brutaliste s’élève au-dessus de la chaussée. À l’intérieur de ce musée, les œuvres sont suspendues dans des cimaises en verre.
L’élégance de l’œuvre de Paulo Mendes da Rocha (1928-), actif depuis les années 50, est elle aussi rattachée au brutalisme brésilien de par la sobriété et l’amplitude de ses structures, comme en attestent le MuBE, musée brésilien de la Sculpture (1995), ou la galerie Vermelho (années 2000). Mais son intervention sculpturale à la Pinacothèque de l’État de São Paulo (1998), l’ancienne École des beaux-arts, superpose les époques. Sans bouleverser l’édifice d’origine à l’architecture d’inspiration néoclassique, les passerelles en acier qu’il a créées permettent de relier entre elles, par le haut, les différentes galeries de ce musée, le plus ancien de São Paulo. Une idée similaire a été adoptée par l’architecte pour la galerie Leme, réalisée avec Metro Arquitetos en 2012. Le pont suspendu reliant les deux volumes composant ce lieu permet d’y aller et venir à l’envi.
São Paulo, qui comporte la plus grande communauté japonaise au monde, ressemble ainsi par moments à une Tokyo sous les tropiques et partage avec la capitale du Japon un sens unique de l’esthétique urbaine postmoderne. Ancien collègue de Niemeyer et ami de Mendes da Rocha, Ruy Ohtake (1938-) s’est lui aussi laissé guider par son intuition. Comme sa mère, la sculptrice et peintre Tomie Ohtake, originaire de Kyoto et liée au courant du néo-concrétisme, il privilégie les couleurs. Le centre culturel qu’il a érigé en 2001, vertigineuse sucette rose et bleue qui porte le nom de son inspiratrice (Instituto Cultural Tomie Ohtake), en est l’exemple parfait.
Mais l’architecte ne s’est pas arrêté là puisqu’il a également égayé São Paulo avec l’hôtel Unique (2002), singulier par sa forme en demi-lune. Forte de sa multitude, la mégapole brésilienne s’est ainsi construite et continue de se projeter vers le futur en se reposant sur ce qui constitue certainement l’un des plus importants viviers d’architectes et d’artistes désireux de changer le monde et l’art, à leur échelle.