Est-ce un hôtel ? Une résidence d’artistes ? Une œuvre d’art totale ? C’est sans doute tout cela à la fois et bien plus encore… Pour cette création hôtelière très particulière, Maja Hoffmann parle volontiers d’une île, « car ici l’île fait partie de l’archipel ». Et c’est bien comme un archipel à l’échelle d’Arles qu’est aujourd’hui pensée la Fondation Luma, que dirige la mécène, ainsi que les activités satellites du Parc des ateliers, l’ex-friche ferroviaire couronnée par la tour Gehry dont l’achèvement est attendu en 2020.
Comme à l’hôtel Le Cloître où la designer India Mahdavi, cassant les codes du « provençalement » correct, injectait déjà aux dépendances de la cathédrale Saint-Trophime un soupçon de Californie haute en couleur, chacun des projets de l’héritière helvète semble voué à créer la surprise. Cette fois-ci, le plasticien américain d’origine cubaine Jorge Pardo a eu carte blanche pour habiller de son art très singulier cet hôtel traversé par plusieurs aristocraties romanes et gothiques.
À quelques pas du Rhône, adossé aux thermes de l’empereur Constantin, l’ancien palais conserve de larges ouvertures en plein cintre, vestiges d’une basilique civile romaine, que la Renaissance étoffa plus tard de divers bâtiments autour d’une cour pavée. Escalier à vis, loggia, fenêtres à meneaux et plafonds peints vinrent enjoliver cet Arlatan de Beaumont, hôtel acquis par un intendant du roi René d’Anjou, anobli pour avoir libéré la plaine de la Crau d’une bestiole qui ravageait les chênes kermès où se récoltait la cochenille, la base du vermillon de Provence. La couleur constitua donc l’ADN de ce palais comtal. Tel serait le prétexte pour remettre celle-ci au cœur du dispositif contemporain.
Dix-huit nuances, deux millions et demi de tesselles cuites et vernissées à la main, onze tailles différentes assemblées sur 6 000 m2 de sols et de murs selon un dessin engendré par ordinateur… Ce travail dantesque nécessita trois ans d’études. De même que tout le mobilier des chambres a été fabriqué par des artisans de Mérida, au Mexique. Sans parler des aménagements que l’architecte arlésien Max Romanet dut réaliser en fonction des préconisations des Architectes des bâtiments de France afin de conserver le mur romain de dix mètres de haut et les restes d’une colonne antique, lesquels servent aujourd’hui de faire-valoir à l’énorme escalier suspendu, tout de dentelle métallique, éclairé par une myriade de lanternes multicolores.
Au bar, dans le lobby, les couloirs, dans les trente chambres et leur salle de bains et jusqu’aux tréfonds de la piscine, l’immersion chromatique est totale. S’ajoutent deux résidences familiales et onze résidences d’artistes, où là encore la mosaïque omniprésente explose en un kaléidoscope mouvant au fil des pas. Panneaux, portes, ascenseurs sont, eux, traités comme des tableaux, autant d’instantanés aux couleurs de la lagune camarguaise, bois gravés au laser et repeints, écheveaux abstraits ou allégories japonisantes, portraits de Maja et Jorge grandeur nature ou de l’ami, Philippe Parreno. Le plasticien formant entre autres, avec l’artiste Liam Gillick et l’historien d’art Hans-Ulrich Obrist, un noyau dur qui préside auprès de Maja aux destinées de la Fondation Luma. Un même archipel où interagissent design, architecture, philosophie et art contemporain.