Après avoir rapporté de Paris une épreuve originale de Louis Daguerre, le peintre et graveur suisse Johann Baptist Isenring organise la première exposition de daguerréotypes à Saint-Gall (près du lac de Constance), en 1840. L’événement comprenant des portraits d’après nature fera date et amorcera la passion des Suisses pour cet art. Voici comment est née la photographie suisse.
Si la photographie de montagne fut largement représentée du fait des nombreuses expéditions d’alpinistes, celle de studio se développe dans le même temps grâce à la dynastie des Boissonnas, installée à Genève. Le XXe siècle marque un renouvellement par le développement de la photographie ethnologique, portée par Ella Maillart et Annemarie Schwarzenbach, et grâce à l’avant-garde qui s’en saisit, telle que Ernst A. Heiniger. En 1932, à Zurich, Hans Finsler ouvre la première classe de photographie à l’école des arts appliqués. La photo documentaire prend le pas avec Robert Frank, René Burri et Martine Franck. Figure tutélaire de la photo de mode, Peter Knapp fut directeur artistique à Paris, du magazine Elle notamment. Sabine Weiss, suisse de naissance et parisienne d’adoption, lauréate du prix Kering Women In Motion en 2019, a donné ses archives au musée de l’Élysée, à Lausanne. Si la Fondation pour la photographie vit le jour à Zurich en 1971, pour exposer et publier des photos suisses, c’est Charles-Henri Favrod qui crée, en 1986, le musée de l’Élysée.
Après plus de trente années face au lac, l’institution déménage dans le quartier des arts et pôle muséal Plateforme 10 et change de nom pour Photo Élysée (voir notre reportage p. 244). Les festivals restent très appréciés du public comme le Festival Images Vevey, les Journées photographiques de Bienne, No’Photo, à Genève, Verzasca Foto Festival, dans le canton du Tessin, ou la Nuit de la photo, à La Chaux-de-Fonds. Les nombreuses galeries attestent du dynamisme de ce marché, à l’instar de Christoph Guye, à Zurich, qui représente Brigitte Lustenberger, ou bien de la Wilde Gallery, de la Galerie Laurence Bernard ou encore de Xippas, à Genève. Enfin, l’une des premières institutions dévolues à cet art, le Fotomuseum Winterthur, en Suisse alémanique, fête ses 50 ans avec une exposition anniversaire consacrée aux affiches du musée depuis son ouverture. Pour illustrer la diversité et l’engagement de la création contemporaine helvète, nous vous présentons ici l’approche et les univers singuliers de quatre photographes suisses d’aujourd’hui.
Brigitte Lustenberger au gré de ses compositions
Dans l’univers de la Zurichoise Brigitte Lustenberger, les portraits et les natures mortes se croisent avec la même attention. Les compositions sont pensées comme des mises en scène théâtrales dans lesquelles chaque personnage joue un rôle. D’une précision extrême, les images de la photographe dévoilent un quotidien où la vie et la mort s’imbriquent et où les objets se dessèchent, moisissent et se décomposent. L’alternance de la pratique du noir et blanc et de la couleur lui convient parfaitement. Elle parvient dans les deux techniques à interroger les notions de solitude, de couple et de corps. Rechercher le dépouillement en éliminant les artifices semble être la ligne directrice de Brigitte Lustenberger. Ses grands formats exposés en extérieur, dans le parc de la Torma, à Monthey (canton du Valais), illustrent la richesse de sa palette d’émotions et d’introspections.
> « Brigitte Lustenberger – What is love ? ». Exposition en plein air au parc de la Torma, jusqu’au 31 décembre 2022, route de Morgins, 1870 Monthey.
Par-delà les jardins clos d’Alfio Tommasini
Photographe tessinois, né en 1979 dans le village de Lodano, en Suisse, Alfio Tommasini est aussi le cofondateur et directeur du Verzasca Foto Festival. On le découvre d’abord avec sa série « Via Lactea », composée de paysages et de portraits agricoles des Alpes suisses, réalisés entre 2015 et 2019. Ses images puissantes interrogent les enjeux actuels de l’agriculture et de l’industrie laitière. Cette étude visuelle de la relation entre les humains, les animaux et la topographie caractérise son approche presque ethnologique. On y voit les transformations technologiques du développement vertigineux de l’industrie agro-industrielle dans les détails des vêtements, des outils et des machines. Jusqu’en juin dernier, sa très belle série « Pairidaeza » (« jardin clos » ou « paradis », en persan), réalisée en Iran, a été présentée pour la première fois dans le jardin du château de Gruyères, dans le canton de Fribourg. Lieux de protection, de liberté et de jouissance, ces jardins expriment une quête métaphorique de l’univers.
> Verzasca Foto Festival, CH-6634 Brione (Verzasca). Tous les ans en septembre.
> À lire : Via Lactea, textes de Noëmi Lerch, 92 photos d’Alfio Tommasini, 164 p., Édition Patrick Frey.
Les métamorphoses de Nora Rupp
Nora Rupp commence son travail de mise en scène tandis qu’elle est encore étudiante à l’école des arts appliqués de Vevey, en 2001. Inspirée par Cindy Sherman, elle utilise son corps comme matière première. À ses débuts, Nora Rupp partait, avec ses costumes et son maquillage sous le bras, à la recherche de lieux abandonnés. Depuis vingt ans, sa pratique a évolué techniquement et formellement, arborant une dimension militante assumée. La condition de la femme et sa représentation restent au cœur de ses questionnements. En septembre dernier, l’exposition « Un corps à soi », hommage à l’œuvre de Virginia Woolf, réunissait 37 autoportraits de Nora, accompagnés de citations féministes. L’artiste y dévoilait vingt années de pratique autour des injonctions à la beauté et à la transformation du corps. Son nouveau travail sur la ZAD de la Colline (une zone occupée, située sur la colline du Mormont, afin d’empêcher l’extension de la carrière de ciment de Holcim, qui menacerait le plateau de la Birette, dans le canton de Vaud) l’amène à réaliser des portraits de militants en faveur de la défense du vivant. Une artiste engagée à suivre.
> Découvrir les photographies de Nora Rupp.
Les histoires amazoniennes de Yann Gross
Né en 1981 à Vevey, dans le canton de Vaud, Yann Gross a étudié à l’École cantonale d’art de Lausanne. Au cours de ses nombreux voyages dans plusieurs pays d’Amérique latine, il a pu observer les dégâts causés par l’homme sur son environnement. En collaborant avec des communautés autochtones, avec lesquelles il a vécu, Yann Gross s’est impliqué dans des projets au Brésil, comme la création d’une télévision indigène ou, en Ouganda, avec la construction d’un skatepark. Photographe et réalisateur, Yann Gross a présenté en 2016, au Centre culturel suisse, à Paris, un projet global, The Jungle Book. Ce carnet de voyage révèle les nombreux visages de l’Amazonie contemporaine, à partir de traces d’expéditions passées, alternant images extraites de vidéos, textes et photographies. Son nouveau travail, Aya, en collaboration avec l’artiste espagnole Arguiñe Escandón, a été présenté au Festival Images Vevey, en 2020. Tous les deux ont fait partie des nominés du prix Élysée 2020-2022.
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