Des études à Paris, Milan et New York, une solide expérience au Japon, aux États-Unis ainsi qu’en Angleterre, des certifications professionnelles dans quasi autant de pays, la maîtrise parfaite de quatre langues, l’architecte d’origine iranienne Alireza Razavi dispose d’un curriculum vitae particulièrement éloquent.
L’attrait de la rigueur
Pourtant, ce tout juste quinquagénaire ne cherche pas à en imposer lorsqu’il s’agit d’échanger sur ses projets, qui vont du résidentiel à la rénovation, du logement collectif à l’architecture intérieure, laquelle peut inclure des projets de mobilier… Au regard de son parcours très international, c’est à Paris qu’il a choisi, il y a une quinzaine d’années, de fonder son agence d’architecture et de rayonner. « Le développement de deux projets parisiens m’ont donné l’occasion de me poser. Mais mon lien avec cette ville remonte à l’âge de 9 ans, juste avant que la révolution iranienne n’éclate en 1979. Mes parents s’étaient rencontrés plusieurs années auparavant à Paris, durant leurs études. La destination de l’exil a alors été vite décidée », raconte l’architecte, fils d’architecte, mais dont la vocation n’émergera qu’au tournant de sa majorité.
Après trois premières années à l’école d’architecture de Paris-la Seine, il opte finalement pour la rigueur de l’enseignement du Politecnico de Milan. « Le modèle éducatif à Paris ne me convenait pas vraiment, trop porté par des ambitions arty », confie-t-il. Et même s’il n’a jamais envisagé d’embrasser des études d’ingénieur, il ressent alors le besoin d’obtenir une formation plus rigoureuse, plus technique, ce que Milan offrait. Riche de cette orientation, l’architecte en devenir multiplie les passages dans des agences qui se révéleront marquantes pour les compétences qu’il peut aujourd’hui mettre en œuvre.
À New York d’abord, chez Peter Eisenman, qui venait de développer un nouveau logiciel de conception (Form.Z), puis à l’agence d’ingénierie Buro Happold, largement reconnue pour sa participation majeure dans la construction de l’opéra de Sydney ou du Centre Pompidou… ou bien encore chez Shigeru Ban, à Tokyo : « J’avais décroché une bourse des Arts et Métiers pour étudier les méthodes de construction japonaises et le nom de Ban m’avait été soufflé pour son approche très novatrice. » L’agence n’avait encore que quelques employés, mais s’était déjà illustrée avec des projets en carton, à l’image des abris de l’après-tremblement de terre de Kobe.
La puissance décorative
« La base du travail de celui qui crée, que ce soit un stylo ou un immeuble, doit, selon moi, passer par la connaissance de la matière, comment celle-ci réagit quand on la met en forme. C’est en grande partie ce qui guide ma démarche », souligne Alireza Razavi, qui pourrait laisser transparaître une approche très technique alors que son rapport à l’art est tout aussi prépondérant.
« L’art va plus vite que l’architecture. C’est très rassurant pour l’architecte qui peut donc s’en inspirer pour l’adapter au contexte de la construction. Lorsqu’on revisite l’histoire, tout ce qui a été testé dans l’art, et validé, a pu être utilisable en architecture. » À l’image de la décoration qui a longtemps été considérée comme une insulte par les architectes tandis qu’ils lui préfèrent le terme d’architecture intérieure – ou interior design pour reprendre l’expression anglaise. « Là encore, il faut relire Matisse, qui n’est pas un mauvais artiste et qui jugeait son travail de peinture à travers sa puissance décorative. »
D’ailleurs, qui ne décore pas son chez lui ou n’affiche pas une intention ornementale, depuis la boîte blanche jusqu’à la surcharge baroque ? Des figures telles que Le Corbusier, Frank Lloyd Wright ou encore Mies van der Rohe n’ont-elles pas elles-mêmes assumé cette volonté de contrôler la globalité du projet des résidences qu’elles ont dessinées en incluant la dimension décorative ?
Sans doute est-ce l’une des raisons qui ont conduit Alireza Razavi à s’atteler lui aussi à des projets de maisons, comme un chalet en Savoie, qui reconsidère l’architecture résidentielle de montagne, ou une maison en Normandie pour un photographe, à la fois futuriste dans sa forme et respectant parfaitement les contraintes du Plan local d’urbanisme (PLU), ou bien encore une villa pour un collectionneur d’automobiles, plutôt fantasque dans son programme. « J’ai parfois l’impression qu’il y a, en France, un vrai blocage idéologique, qui freine les architectes à s’impliquer dans le résidentiel. Pour moi, à l’inverse, ce contact direct avec le commanditaire est très important si je veux parfaitement comprendre les attentes de l’usager », en dépit parfois des longs débats avec le système administratif que cela peut engendrer.
Ainsi cette capacité d’écoute et de dialogue lui permet d’autant mieux d’être en phase avec les besoins spécifiques des logements collectifs, à l’image d’un complexe de 10 000 m2 en cours de construction dans le XIXe arrondissement de Paris et de l’extension de la maison de l’Italie, à la Cité universitaire, qui par sa structure rend autant hommage à Pier Luigi Nervi qu’à Le Corbusier, auteur de la maison de la Suisse toute proche. Dans un autre registre, le siège du cabinet d’avocats August Debouzy (6 500 m2), qu’il vient de livrer dans les murs d’un immeuble parisien datant de 1927, illustre plutôt bien l’approche de Studio Razavi : « Nous avons mis tous les volumes intérieurs à plat afin que tous les espaces de travail profitent de la lumière naturelle. Et dans le même temps, nous nous sommes chargés de l’aménagement des espaces et du mobilier pour que l’intention, dans la quête d’un bien-être au travail, soit raccord à tout point de vue. » Si la présence de l’agence est en train de se renforcer à Paris, Alireza Razavi n’entend pas dépasser le nombre de ses collaborateurs au-delà d’une quinzaine : « C’est la taille idéale pour continuer à être au plus proche des projets. »
La force d’une équipe
Néanmoins, Studio Razavi dispose de bureaux à New York (depuis 2012) et à Londres (2016), avec à chaque fois une équipe restreinte, mais qui lui permettent, grâce aux habilitations obtenues dans ces pays en début de carrière, de pouvoir répondre à des sollicitations et, surtout, d’être présent sur le terrain pour suivre les chantiers. « D’une manière générale, les gens nous contactent parce qu’ils ont vu des réalisations que nous avons signées. Pour autant, si je m’autorise à participer à des compétitions, c’est surtout dans le but de développer des idées, comme l’illustrent des projets pour le moins utopiques à Séoul ou à Téhéran, inspirés en partie de tableaux anciens et de gravures. » Généralement, il lance l’impulsion d’un projet avec quelques croquis, puis très vite les soumet à une petite équipe qui le bombarde de points de vue très variés, « car on n’est jamais plus intelligents qu’à plusieurs ».
Si le studio travaille également en étroite relation avec des bureaux d’étude, le rêve d’Alireza serait de pouvoir superposer la tâche de l’architecte à celle de l’ingénieur. « Une grande partie de notre travail, pour ne pas dire de notre mission, consiste à passer de l’image à la matérialité. Mais le résultat est bien évidemment impacté par la qualité de l’exécution et la fabrication. Selon moi, les architectes devraient vraiment se battre pour travailler dans ce sens. Ils en sortiraient gagnants. »
> Le studio de l’architecte Alireza Razavi.