Il faut parfois emprunter des chemins de traverse pour réaliser ses rêves. Rien de plus convaincant que le parcours atypique d’Alain Gilles qui, à 45 ans, doit sa réussite à la ténacité dont il a su faire preuve pour s’approprier son destin. Né à Bruxelles, il s’est d’abord orienté vers des études sérieuses : les sciences politiques pour rassurer la famille mais aussi « parce que j’ai toujours voulu comprendre le monde, ce qui est finalement assez proche des préoccupations du design », note-t-il rétrospectivement. Alain Gilles décide ensuite d’assumer ses accointances créatives en se consacrant à l’art à travers la peinture 3D. Il photographie son quotidien (trois gouttes de pluie un jour, une bouche d’égout le lendemain) et nourrit ainsi son univers. « Au bout de six mois, j’ai compris que ce n’était pas si simple. » Retour à la case départ et à un « vrai boulot » dans la finance chez J.P. Morgan à Bruxelles où il traîne son ennui : « L’ambiance y était bonne mais c’était si loin de ce que j’aimais… » Après un détour illusoire par le marketing, Alain Gilles opère à 32 ans un virage à 180° : « Il m’a fallu du temps pour que j’assume ce que je voulais vraiment faire et pour mettre un nom dessus. » Avec le soutien galvanisant de son épouse, Alain Gilles décide de changer de voie et de vie : direction l’Institut supérieur du design de Valenciennes. Avant même de passer son diplôme, il est embauché par l’éditeur belge Quinze & Milan, où il se fait la main sur des projets d’envergure. Mais au bout de deux ans et demi, il s’essouffle : « J’ai choisi le design parce que j’avais envie de créer mon propre univers. Je souffrais du manque de liberté. » Qu’à cela ne tienne, Alain Gilles pousse le curseur du risque un peu plus loin et ouvre son propre studio en 2007 à Bruxelles : « J’ai eu la chance que tout démarre très vite. » Il collabore à la création de la marque française Qui est Paul ? pour laquelle il dessine les cache-pots Rock Garden et les fauteuil Sliced et Translation en polyéthylène recyclable. En parallèle, il frappe à la porte d’éditeurs confirmés. Séduit, Bonaldo édite ses premières créations comme Big Table et Tectonic. Une rencontre en appelant une autre, tout s’enchaîne. Il travaille avec l’éditeur belge Buzzispace : « Avec eux, j’ai toujours proposé des concepts décalés qui ont trouvé leur public. Difficile de rêver mieux. » En 2012, il est élu designer de l’année à la Biennale Intérieur de Courtrai, cinq années à peine après l’ouverture de son studio…
La lisibilité comme moteur
Face à son activité croissante, Alain Gilles a embauché, ce qui lui a permis de se réorganiser et de retrouver le temps de se consacrer à la recherche, « essentielle pour donner de nouvelles impulsions ». Son premier laboratoire ? Le 80, rue des Ailes, un ancien atelier réaménagé où il vit et travaille. Pour lui, une création de design réussie « est un objet différent, inattendu, qui a un potentiel iconique et qui peut se vendre ». En 2015, le designer belge dévoile le babyfoot The Pure (Debuchy by Toulet). « Je me suis éclaté ! C’était un rêve de grand garçon d’amener le babyfoot vers un univers plus domestique, plus féminin. » On lui doit aussi la douche d’extérieur Levantine (Zee) et la lampe solaire Nomad (O’Sun). À l’image du canapé X-Ray (La Chance, 2015), ses créations partagent une certaine forme d’évidence. Influencées par l’architecture, très graphiques, elles ne s’encombrent pas de fioriture sans pour autant verser dans le minimalisme. Oscar Niemeyer est pour lui une référence. « J’aime son travail car il est très proche de la fameuse ligne claire de la BD belge. La lisibilité de son œuvre me parle. » Aujourd’hui, Alain Gilles travaille avec Evolution, une nouvelle marque française d’ustensiles de cuisine, avec Design is Wolf, nouveau-né belge qui réinvente le circuit de distribution, et planche aussi sur de nouvelles collections pour Buzzispace. « Je suis conscient d’être chanceux : parce que j’ai connu autre chose avant, parce que le design est ma vie avant d’être mon travail, parce que tout le monde n’a pas la chance d’en vivre ; je vois chaque projet comme une chance et une opportunité. »