À la fin du XIXe siècle, Cézanne fait entrer la peinture dans la modernité, inspirant des générations d’artistes (Picasso, Matisse, Vasarely…) à s’affranchir des dogmes. Un siècle un peu plus tard et sur le même territoire d’Aix-en-Provence, le flambeau est repris par Paddy McKillen. Irlandais né à Belfast, ayant fait fortune dans le secteur immobilier, il a transformé un domaine viticole en un centre d’art contemporain XXL : le Château La Coste, dans lequel il a invité des artistes et des architectes à créer des œuvres, la plupart in situ.
À lire aussi : Que faire en week-end à Aix-en-Provence ?
La modernité en héritage
Ces créations, signées Prune Nourry, Ai Weiwei, Bob Dylan, Richard Rogers, Frank Gerhy, Oscar Niemeyer et tant d’autres noms, vont se cacher au détour d’un sentier, en contrebas d’un chemin ou en haut d’une colline, redéfinissant notre rapport à l’art, loin du traditionnel White Cube. Le visiteur est reçu par l’immense araignée en métal de Louise Bourgeois, qui semble flotter sur le bassin du bâtiment d’accueil en béton, conçu par Tadao Ando. Le site propose des expositions aussi variées qu’un accrochage collectif dédié aux jeunes artistes de la résidence Poush (jusqu’au 9 juin), à Sophie Calle (du 15 juin au 31 août) ou au designer Ralph Pucci (du 21 juin au 30 septembre).

Un lieu que l’on arpente – compter environ 2 h 30 pour la visite entre sous-bois, garrigue et vignes – afin de prendre le temps de découvrir, d’approcher, de toucher et de digérer chaque œuvre. Une expérience aussi visuelle que sensorielle, voire spirituelle, surtout lorsqu’on arrive au banc de méditation et à la chapelle du XVIIe siècle réhabilitée par Tadao Ando.
En perpétuelle évolution, cet immense domaine de 240 hectares vallonnés, offrant des points de vue sur la Provence, notamment depuis la Villa La Coste, un hôtel situé à flanc de collines, est doté d’une série de suites lumineuses, imaginées comme des appartements spacieux au luxe épuré : mobilier en bois blond, tissus d’ameublement, canapés douillets et murs blancs ponctués d’œuvres d’art contemporain, comme un appartement chic mais décontracté.

Certaines de ses suites ont été dessinées par l’architecte d’intérieur hongkongais André Fu, qui nous explique que « le défi, ici, était de concevoir des suites en duplex sur une double hauteur restituant l’atmosphère d’une maison de collectionneur d’art ». Il poursuit : « L’enjeu était de capturer la lumière, à la teinte pêche si délicate, qui irradie dans la région. Ainsi, le lumineux salon a été conçu comme le cœur de l’appartement, il bénéficie d’immenses fenêtres, encadrées par des rideaux en lin brut du sol au plafond, pour prodiguer encore plus de luminosité ».
Un ensemble dans lequel il a également signé le spa et où l’on retrouve un restaurant étoilé, dont la carte a été conçue par Hélène Darroze. Ici, au cours du dîner en sept plats, l’hôte est invité à déguster le vin du domaine dont le chai, en aluminium et en acier inoxydable, a été dessiné par le starchitecte Jean Nouvel.

Un complexe architectural aussi contemporain que le Pavillon Noir, imaginé par Rudy Ricciotti, au centre de la cité aixoise. Un monolithe de béton, conçu par l’architecte marseillais pour le chorégraphe Angelin Preljocaj, qui apporte un semblant de modernité à cette ville, célèbre pour son patrimoine ancien, à l’image de carte postale provençale qu’affectionnent tant les touristes américains.
Cézanne au présent
Mais Aix évolue. Pour s’en convaincre, une visite à l’hôtel Galliffet s’impose. Derrière la classique façade de cet hôtel particulier du XVIIIe siècle sont organisées d’excellentes expositions d’art contemporain, toutes disciplines confondues, du tissage à la photographie ou à des monographies d’artistes, initiées par Nicolas Mazet. Cet été, ce sera « Échos de Cézanne », qui montrera les réponses, signées Barceló et d’autres figures contemporaines, au regard de l’œuvre du maître aixois, que la ville célèbre cette année au musée Granet et dans deux lieux emblématiques de sa création.

Pour cerner l’œuvre de Cézanne et prendre du recul, mais aussi pour découvrir un aspect méconnu de la ville d’Aix-en-Provence, rendez-vous est pris avec un guide pour découvrir les carrières de Bibémus. Sur un plateau forestier qui surplombe la ville, celui-ci ouvre une grille et nous entraîne à travers sentiers et anciennes carrières de pierre, qui ont autrefois servi à construire Aix.
« Cézanne est venu peindre, ici, dans les années 1880, à la recherche d’une quiétude et de la possibilité de peindre in situ, entouré de ces carrières aux formes géométriques, “négatif” des hôtels particuliers de la ville où les architectes venaient chercher le calcaire coquillé de teinte ocre », raconte Arthur Carlier, guide conférencier. Au détour d’un chemin se dresse face à nous la célèbre montagne Sainte-Victoire, qui ne cessa d’inspirer le maître…

Retour en ville, avec deux visites qui s’imposent : la bastide du Jas de Bouffan, demeure familiale de l’artiste où il vécut une grande partie de sa vie et y peignit de nombreuses œuvres dans un vaste atelier. La propriété, avec son jardin et ses bâtiments, source d’inspiration majeure pour l’artiste, influençant profondément son travail, sera rouverte au public à partir de cet été.
C’est également le cas pour son atelier des Lauves, maison d’un quartier résidentiel où le peintre a fini sa carrière. Un espace choisi pour optimiser la lumière naturelle, essentielle à sa peinture. Dans son ancien lieu de travail reconstitué, qu’il sera donc possible de visiter, seront exposés 4 000 objets (crânes, palette, boîte à couleurs, vêtements…).

La découverte de la modernité aixoise ne serait pas complète sans une virée à la Fondation Vasarely (1906-1997), le père de l’art cinétique qui proclama « Nous saurons nous rendre dignes de Cézanne ». Face à la Sainte-Victoire, dans les faubourgs de la ville, on entre dans une œuvre d’art totale, plongée dans l’op art, toujours aussi spectaculaire malgré le vieillissement des lieux. À découvrir la cafétéria, capsule spatio-temporelle qui, à elle seule, vaut le détour, preuve supplémentaire de la multiplicité des facettes que la cité provençale offre à ses visiteurs, bien au-delà des clichés.
À lire aussi : Marseille : 7 nouveaux lieux où manger, boire, dormir et bronzer avec style