« Abrume », l’ouvrage des architectures en milieu sauvage

Durant plusieurs années, les architectes-randonneurs que sont Gauthier Delvert et Raphaël Guillemette ont arpenté l’Hexagone à la découverte d’abris de fortune. De ces excursions, ils en tirent aujourd’hui un ouvrage édité par Ulmer qui répertorie quelques une des typologies parmi les plus identitaires de cette architecture vernaculaire.

Abrume… Ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire, vous ne le trouverez pas ! Il sort de l’imagination de Gauthier Delvert et Raphaël Guillemette, tous deux architectes et co-auteurs d’un ouvrage sur la notion d’abri qu’ils appellent aussi cabane libre ou… abrume, et dont ils donnent la définition poétique suivante : « Cabane qui se dévoile dans une brume épaisse après une journée de marche, quand le ventre se creuse, que les jambes sont lourdes et les vêtements trempés. Une fine fumée s’élève derrière un talus, une odeur de feu de bois se répand doucement dans l’air, l’abri se dessine peu à peu. »


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Randonnée et architecture

Eparpillées à travers le grand paysage dans des coins le plus souvent reculés, ces refuges sont ouverts à tous, tout au long de l’année, sans gardiennage. Sur un peu plus de 200 pages, le duo en identifie une vingtaine, avec des appellations aussi oniriques que Le Volcan, La Bête, Le Palimpseste, La Saillie, La Naufragée ou encore L’Agora, répartie selon 6 chapitres (Primaire, Vivant,  Collectif, lointain, Solitaire et Sauvage). Et cela, rien que sur le territoire de l’Hexagone, que Gauthier et Raphael sillonnent depuis désormais près d’une dizaine d’années.

Tantôt en pierre sèche, en bois, en lauze, ou bien prenant appui sur une concrétion rocheuse naturelle, ces refuges font le plus souvent appel à des savoir-faire ancestraux.
Tantôt en pierre sèche, en bois, en lauze, ou bien prenant appui sur une concrétion rocheuse naturelle, ces refuges font le plus souvent appel à des savoir-faire ancestraux.

Tout est parti d’une passion qu’ils ont en commun pour la randonnée. En allant arpenter les Highlands écossais, cette curiosité pour ces formes architecturales libres est née chez ces étudiants alors en première année d’archi. « Nous y sommes partis un mois de février. Alors, forcément, ces bergeries inoccupées qui rythmaient notre itinérance se sont imposées à nous pour y passer nos nuits. On a très vite été interpellés par ces architectures vernaculaires qui semblent défier le temps, en ne répondant à aucun style répertorié. Cela nous a donné envie de voir ce qu’il en était en France », expliquent-ils.

En échangeant sur des forums de randonnée mais aussi grâce au bouche-à-oreille, Gauthier et Raphaël se prêtent au jeu de la découverte et réalisent au fur et à mesure de leur prospection l’étendue du sujet. Ce patrimoine méconnu prend d’ailleurs autant de noms que de modes constructifs qui différent selon les régions : fustes dans les Vosges, bories en Provence, burons dans le Massif central, chalets dans les Alpes…

Dans le livre « Abrume », le duo d’auteurs identifie une vingtaine d’abris aux appellations aussi oniriques que Le Volcan, La Bête, Le Palimpseste, La Saillie, La Naufragée ou encore L’Agora.
Dans le livre « Abrume », le duo d’auteurs identifie une vingtaine d’abris aux appellations aussi oniriques que Le Volcan, La Bête, Le Palimpseste, La Saillie, La Naufragée ou encore L’Agora.

Tantôt en pierre sèche, en bois, en lauze, combinant parfois plusieurs matériaux ou bien prenant appui sur une concrétion rocheuse naturelle, ces refuges font le plus souvent appel à des savoir-faire traditionnels qui remontent à des époques anciennes. « D’une manière générale, ces dispositifs sont à l’origine liés à l’histoire du pastoralisme et du bucheronnage. Les hommes, pour s’abriter durant ces périodes de travail intense qui ne leur permettaient pas de rentrer au village, se sont construits des abris en utilisant les matériaux qu’ils avaient à portée de main, faisant avant tout appel au bon sens pour en définir les formes. »

Documenter le vernaculaire

Généralement, on trouve ces constructions dans des territoires qui en sont dépourvues, là où l’homme n’habite pas, la plupart du temps en altitude. Le livre est ainsi construit comme une visite de ces territoires, sans pour autant qu’ils soient nommés. Libre au lecteur curieux de tenter d’associer une typologie à une région. Il ne s’agit donc pas d’un guide, ni vraiment d’un livre d’architecture… bien que…

« Abrim » est un véritable récit de voyage à travers la diversité de paysages et de styles architecturaux qu’offre la richesse des terroirs français.
« Abrim » est un véritable récit de voyage à travers la diversité de paysages et de styles architecturaux qu’offre la richesse des terroirs français.

Les deux architectes développent, le temps que dure la marche, une certaine excitation quant à l’objet à découvrir. Une fois sur place, ils prennent le temps de vivre le lieu, y restant au minimum 24 heures pour s’imprégner de son esprit, y faire un feu, y dormir mais aussi parfois y rencontrer d’autres marcheurs de passage… tout en réalisant un travail d’archivage de l’endroit. « Notre démarche est aussi d’offrir des références techniques à des architectures qui n’ont pas été conçues à partir de ces documents. Et d’une certaine manière, poser sur le papier des informations permettant peut-être de réitérer à l’avenir ce type d’habitat précaire dont bien souvent les « constructeurs » ont disparu, et dont on peut craindre que le savoir-faire se perde lui aussi. »

La vingtaine de bâtiments répertoriés dans l’ouvrage ne représente qu’une petite partie des constructions identifiées, dont toutes n’ont d’ailleurs pas encore été visitées par le tandem. C’est un travail au long cours, presqu’un projet de vie, qui inévitablement va nourrir la dynamique architecturale de ces deux praticiens. La manière dont ils racontent ce projet n’a rien de rébarbatif, voire du catalogue où l’on peut facilement se perdre, ou à l’inverse de l’ouvrage « modeux » – et l’on sait bien que la cabane est terriblement tendance – aux images hautement séduisantes.

En plus d’images capturées lors de leurs randonnées, les auteurs du livre « Abrume » y ont inséré des croquis techniques.
En plus d’images capturées lors de leurs randonnées, les auteurs du livre « Abrume » y ont inséré des croquis techniques.

Le déroulé est construit comme un récit de voyage à travers la diversité de paysages et de styles architecturaux qu’offre la richesse des terroirs français. On perçoit au fil de la lecture une émotion bien tangible à chacun de ces moments vécus. Chaque « abrume » est une histoire en soit que le duo narre dans une langue plutôt littéraire, ce qui dénote pour ce type d’ouvrage. Les textes sont évidemment appuyés par des photos captées au grés des quatre saisons ainsi que de croquis et dessins plus techniques dont ils ont acquis la maitrise durant leurs études. D’une certaine manière, ce livre est une continuité du « livre d’or » des lieux et pourrait bien s’imposer comme une base de données essentielle pour notre mémoire collective.

> « Abrume », Gauthier Delvert et Raphaël Guillemette, Ed. Ulmer, 216 pages, ISBN : 978-2-37922-396-9, Prix : 35 € ici.


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