Dès notre arrivée, Tommaso Fantoni nous présente un demi-cylindre en tôle avec des fils de métal qui ressortent sur le haut et les côtés, à l’image des pousses d’un vieux saule. Il s’agit d’une lampe de chevet, prototype et œuvre unique en son genre. Même si elle n’est pas encore commercialisée, on peut la voir sur la table de son studio de la Via Montenapoleone à Milan. Tommaso Fantoni est un designer et architecte de 41 ans, fils et petit-fils d’architectes : son père, sa mère et ses grands-parents l’ont précédé dans cette voie. Et la famille de sa mère, les Borsani, a vu la création et le développement de Tecno, l’une des entreprises de mobilier italiennes les plus anciennes et les plus ingénieuses dans l’univers du bureau. On sent que cet héritage a dû influer sa formation, avant de lui permettre de se lancer seul. Grâce à son talent, et probablement à cet environnement familial privilégié, Tommaso Fantoni a effectué un apprentissage de dix ans au sein des studios londonien et new-yorkais de Norman Foster, avec lequel il collabore encore aujourd’hui. L’un de ces projets est la Tower 2, le deuxième bâtiment le plus élevé du monde prévu pour le site de Ground Zero. La conversation avec cet architecte taillé comme une statue de Zadkine nous entraîne inévitablement vers son appartement établi en terre milanaise dans un quartier anciennement ouvrier, sur la Via Lomazzo, entre la Via Paolo Sarpi du quartier chinois et la très trendy Via Procaccini.
Tommaso Fantoni vit ici, dans une maison de 180 m2 construite au fil du XIXe. Bâtie sur un plan rectangulaire, la séparation des espaces y est quasi inexistante. Ils ne sont délimités que par le biais d’un système de demi-parois non systématiques, qui donnent à chaque « pièce » son propre tempo. Le salon, très lumineux grâce aux doubles fenêtres, comporte une sélection de meubles remarquables et singuliers qu’il est difficile de ne pas remarquer : le célèbre sofa D70, avec ses ailes pivotantes, a été imaginé par le grand-père de Tommaso, Osvaldo Borsani (1911-1985), avant de devenir une icône du design du XXe siècle ; le fauteuil Paimio d’Alvar Aalto (1932, Artek) et la chaise Chip de Carlo Mo, un meuble qui s’affirme comme une sorte d’« Afrique revisitée », comme le suggère lui-même Tommaso.
Des meubles remarquables et singuliers
La surprise ou plutôt l’axe qui relie l’ensemble, tel un guide, est l’étagère qui s’étend généreusement sur 17 mètres ! Elle résulte d’un « test de l’harmonie et de l’inventivité » pour Tommaso Fantoni, un homme cultivé et polyvalent qui joue du piano, sculpte, dessine et s’adonne à la peinture acrylique. Dans une quête hypothétique de « l’anti-bibliothèque », l’étagère court le long du mur tel un rail, accumulant, outre les livres, une grande variété d’objets : des petites sculptures, des bibelots et, au sol, un étalage de chaussures. À y regarder plus attentivement, tout cela s’apparente à un désordre plus qu’organisé… Tommaso Fantoni est également un collectionneur d’art avisé ; il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. Dès l’entrée, on est accueilli par un Oil Stick de Richard Serra, un tableau d’Alex Ruthner et un panneau du chantier de Ground Zero. Dans la chambre ouverte, on aperçoit un tableau recouvrant la totalité du mur réalisé par un artiste du collectif belge Leo Gabin et, à ses côtés, un diptyque de Mats Bergquist. Dans le salon, on trouve un cliché d’Agostino Osio, un tondo (tableau circulaire à faible relief) particulièrement beau et vaguement optique et, dans la salle à manger, la table ronde en cristal de Norman Foster (1989).
Au-delà des tendances
L’étagère dans son intégralité est baptisée S15. Parmi les autres œuvres de Tommaso Fantoni, il est difficile de ne pas remarquer la longue lampe cylindrique L01 (également présente dans l’entrée, le long du portemanteau AT16 de Borsani), dont on retrouve un modèle plus petit dans la chambre. Contre toute attente, Tommaso a disposé dans sa salle de bains le fauteuil P31 (1956) d’Osvaldo Borsani pour Tecno. N’oublions pas la terrasse carrée que l’on aperçoit dès l’arrivée. Depuis ce poste d’observation, en regardant l’entrée, on peut apercevoir un piano demi-queue de la marque berlinoise Bechstein. La visite s’achève sur cette observation générale : ici on ne trouve ni versions « ethniques » ni versions extrêmes du post-modernisme. Ici demeurent Tommaso Fantoni et sa propension unique à imaginer ce qui va au-delà des tendances…