De plus en plus mise en avant, la notion d’engagement s’invite dans les expositions et permet d’interroger le rôle de l’art dans les débats sociétaux. En ce début d’année, la rédaction pose son regard sur trois expositions engagées qui interrogent cette notion.
1 – Une exposition pour plonger dans l’histoire du féminisme à Paris
En plein cœur du Marais, au Musée Carnavalet, l’exposition « Parisiennes citoyennes » propose une lecture inédite de l’histoire vertigineuse du féminisme à Paris sur près de trois siècles, de la Révolution française jusqu’à la loi de la parité. Forte de l’expertise des commissaires d’expositions Valérie Guillaume, Christine Bard, Catherine Trambun et Juliette Tanré-Szwczyk qui ont travaillé sur ce projet, l’exposition se déploie selon un parcours chronologique parsemé d’œuvres d’art, d’objets historiques inédits et de riches anecdotes.
Ponctuée de portraits de grandes figures qui ont marqué l’histoire du féminisme comme Séverine, première femme journaliste, George Sand, Flora Tristan ou encore Joséphine Baker, elle offre la possibilité de se pencher sur le parcours de ces femmes qui se sont mobilisées individuellement et collectivement, quelle que soit la période, pour faire évoluer leurs droits et tendre vers l’émancipation. Cette dynamique comprend aussi bien le droit de travailler que la liberté de disposer de son corps ou encore d’accéder à l’éducation et à la création artistique. Débordant d’ingéniosité, certaines ont par exemple détourné des objets du quotidien — comme l’éventail ou la savonnette — pour y inscrire leur volonté de voter.
La place donnée aux archives montre à la fois l’impressionnant travail de recherche effectué par les commissaires et les ressources utilisées par les femmes. Au gré des périodes historiques et du climat politique inhérent à ces dernières, l’exposition « Parisiennes citoyennes » dévoile ainsi l’ampleur et l’adaptabilité de la lutte féministe face aux épreuves. Ce fut par exemple le cas pendant l’entre-deux guerres avec le retour des femmes au foyer qui marqua un recul dans l’histoire de l’émancipation féminine.
Le choix des œuvres témoigne également d’une minutieuse réflexion puisque parmi les sculptures, peintures, photographies ou vidéos exposées, celles mises en avant sont celles d’artistes comme Hélène Berthaux — sculptrice et militante du XIXe siècle qui oeuvra pour permettre aux femmes d’accéder à l’enseignement de l’École des Beaux-Arts de Paris — ou encore ORLAN, ayant joué un rôle dans l’histoire de cette lutte féministe, et plus spécifiquement pour leur reconnaissance dans le domaine artistique.
Qu’elles aient été connues, anonymes, révolutionnaires, pacifistes, suffragettes, résistantes, intellectuelles, artistes, immigrées ou travailleuses, les femmes mentionnées dans l’exposition reflètent la multiplicité et de la diversité qui se déploie autour d’un même engagement dont les faits se sont d’abord déroulés à Paris avant de gagner d’autres territoires.
> Parisiennes citoyennes ! à voir au Musée Carnavalet jusqu’au 29 janvier 2023.
2 – Une exposition pour interagir activement avec les oeuvres
Au Centquatre, la deuxième partie de l’exposition Foire Foraine d’Art Contemporain a ouvert ses portes pour prolonger l’expérience ludique et inédite. Cinq artistes ont investi les anciennes écuries situées au sous-sol du lieu, donnant ainsi le nom « Les Écuries fantastiques » à l’extension. À l’instar des œuvres conçues comme de véritables attractions, les installations immersives proposées par ORLAN, Julio Le Parc, Fabrice Hyber, Tsirihaka Harrivel et Alpha Wave Experience décuplent les sensations et invitent chacun à expérimenter l’art d’une manière radicalement différente.
Ici, plus question de contempler les œuvres les unes à la suite des autres sans pouvoir assouvir l’envie irrésistible de les toucher. Au contraire, les artistes invitent les visiteurs à entrer dans les œuvres comme le propose par exemple Tsirihaka Harrivel avec Arcade I Sentimental (1. You). Ce dispositif invite à vivre une expérience cathartique hors du commun en s’enfermant à l’intérieur d’une boîte pourvu d’un miroir et de capteurs sonores, et de crier. Plus le cri est fort, plus le score est élevé. À la manière d’un jeu d’arcade doté d’un aspect libérateur et confessionnel, cette surprenante installation est la première d’une série sur laquelle l’artiste travaille depuis 2020, avec comme dénominateur commun l’idée d’un spectacle sans acteur.
Cette idée d’intégrer le spectateur dans l’œuvre se retrouve dans chacune des autres propositions d’artistes. Connu pour ses œuvres d’art cinétiques, Julio Le Parc réactive un ensemble de pièces qu’il avait déjà présenté à la Biennale de Venise en 1966, comme le montre un certain nombre d’images d’archives. De l’installation Salle de jeux et labyrinthe ressort cette idée de mouvement surprise actionné par les visiteurs, rappelant aussi bien les inventions de Jean Tinguely que celles du personnage de bande dessinée Gaston Lagaffe. En résultent de joyeuses réactions provoquées par un sol instable, un miroir vibrant, des sièges à ressort…
Ce deuxième opus de l’exposition s’inscrit dans la réflexion menée par le directeur du Centquatre José-Manuel Gonçalvès qui souhaite faire de ce lieu un espace collaboratif et expérimental ouvert à tous. Les Écuries fantastiques relèvent ainsi le défi amorcé par la première partie de la Foire Foraine visant à réunir l’aspect et le contenu populaire d’une fête foraine et ceux plus élitiste d’une foire d’art contemporain. Cet engagement se traduit par la présence d’œuvres multiples et accessibles qui redéfinissent la relation entre artistes et visiteurs, procédant ainsi à un renversement des rôles attribués habituellement.
> Foire Foraine d’Art Contemporain Partie 2, à voir au Centquatre jusqu’au 29 janvier 2023.
3 – Une exposition pour découvrir la création artistique contemporaine arabe et queer
À l’Institut du Monde Arabe, l’exposition Habibi, les révolutions de l’amour relève la gageure d’interroger les représentations des identités sexuelles et de genre dans la création contemporaine arabe, sans pour autant sombrer dans le misérabilisme. En effet, la proposition éclectique — tant dans le choix des supports utilisés par les artistes (vidéo, photographie, sculpture, bande dessinée, collage…) que dans les thématiques abordées — curatée par Elodie Bouffard, Khalid Abdel-Hadi et Nada Madjoub, se veut le reflet d’horizons divers, inspirants et résolument optimistes.
En réunissant une vingtaine d’artistes originaires de pays arabes ou en diaspora, l’exposition poursuit les réflexions engagées sur le plan politique, social, intime et esthétique depuis le début des années 2010 avec le Printemps arabe. Organisée en thématiques distinctes mais reliées, l’exposition aborde notamment la question de la liberté des corps de façon transversale. Qu’il s’agisse d’œuvres reprenant les codes iconographiques de miniatures islamiques, d’installations qui revisitent les représentations normées ou encore de pièces teintées d’un humour grinçant, tous les moyens sont déployés pour mettre en récit l’émancipation des individualités, tant spirituelle que corporelle.
Chez l’artiste libanaise Chaza Charafeddine, l’imagerie religieuse est réactualisée dans sa série Divine Comedy avec des portraits photographiques de personnes au genre non défini qui se fondent dans des décors et des tenues représentatifs de l’art de l’Islam. Sa pratique, qui s’articule autour de la notion de fluidité de genre, s’est ici nourrie de la figure du Buraq (créature fantastique en forme de cheval ailé à tête humaine qui sert de monture aux prophètes) et de ses représentations ambigües. Ce réemploi et détournement iconographique se retrouve dans d’autres oeuvres, comme celles de Kubra Khademi qui inscrit des vers du poète persan Djalâl ad-Dîn Rûmî en langue originale dans ses compositions mettant en avant des figures féminines s’adonnant aux plaisirs érotiques.
L’humour, qui se retrouve par touche dans les différentes sections de l’exposition, contribue aussi à délivrer des messages politiques revendicatifs. Avec son projet Papa suce et Maman coud, Sido Lansari développe une série de canevas brodés et encadrés qui mêlent slogans crus à des motifs naïfs pour interroger la place de cette terminologie dans une société encore très conservatrice, à l’heure des protestations du mouvement de la Manif Pour Tous. Raed Ibrahim, quant à lui, propose des remèdes à ce qui est perçu comme problématique au Moyen-Orient, à travers sa série For Every Ailment There is a Remedy (2009). Seuls les suppositoires « Gayom » revêtus du drapeau arc-en-ciel et visant à rendre hétérosexuel sont présentés dans l’exposition, renvoyant ainsi à l’injonction de normalité que connaissent malheureusement encore trop souvent les personnes issues de la communauté LGBTQIA+.
> Habibi, les révolutions de l’amour, à voir à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 19 février