Liés intimement à l’histoire de la conquête des cimes et pour laquelle une halte à mi-course s’avérait – et s’avère toujours – indispensable, les premiers refuges apparaissent dès la seconde moitié du XIXe siècle, notamment sur les voies menant vers les sommets les plus emblématiques (mont Blanc, mont Rose, Cervin…).
Souvent, ce type de réalisation prend l’allure d’un abri rudimentaire, d’un bivouac ou d’une cabane, pour employer un terme propre au jargon de l’alpinisme, offrant uniquement l’agrément d’un lit pour la nuit. Toutefois, ces édifices peuvent aussi être très ambitieux, se déployant sur plusieurs niveaux et centaines de mètres carrés, au point de s’apparenter à des hôtels d’altitude avec toilettes, cuisine et gardiennage assurant un confort appréciable.
Depuis une vingtaine d’années, des signatures architecturales se frottent à l’exercice de ces constructions qui doivent aussi bien résister à de fortes intempéries et variations de température que répondre à des contingences d’autosuffisance. Car ici, la plupart du temps, aucune connexion aux réseaux d’eau, d’électricité et de communication n’est possible. Autant dire que le refuge de montagne est un précurseur de l’architecture durable. Par le choix des matériaux, mais aussi des solutions constructives à mettre en œuvre, notamment en matière de recyclage. Pour autant, bâtir dans la contrainte est loin d’être le seul fil conducteur pour ces ouvrages qui, bien souvent, offrent une large part à la contemplation.
Refuge de l’Aigle en France
À 3 450 mètres d’altitude, ce refuge semble littéralement accroché au rocher de l’Aigle, à la verticale de La Grave, dans le parc national des Écrins. Après une longue période d’échanges et de réflexions entre les différentes parties prenantes, les architectes de l’Atelier 17 C ont décidé de conserver la structure de l’ancienne cabane datant de 1910 et de l’inclure dans une nouvelle coque en bois habillée d’un bardage en aluminium teinté ardoise. Déployé sur 72 m2, le refuge de l’Aigle permet, depuis août 2014, d’accueillir jusqu’à 32 personnes.
Skuta Shelter en Slovénie
Installé sur les versants du mont Skuta, à 2 000 mètres d’altitude, cet abri de 12 m2 (sans toilettes) offre six couchages. Le projet a vu le jour en 2015 à la suite d’un workshop que l’agence OFIS a organisé à la Harvard Graduate School of Design (États-Unis). La construction se compose de trois modules préfabriqués en öko skin, un béton armé de fibre de verre, assemblés sur le site. La teinte grise du petit édifice s’intègre parfaitement dans le paysage rocheux tandis que deux façades transparentes en triple vitrage sécurisé y font entrer la lumière naturelle.
Bivouac Gervasutti en Italie
Situé à 2 835 mètres d’altitude dans la partie italienne des pentes du mont Blanc, côté Val d’Aoste, ce refuge installé à l’aplomb d’une falaise porte le nom de l’alpiniste Giusto Gervasutti (1909-1946). Ce concept novateur de modules métalliques préfabriqués, par tranche de 2 mètres, a été développé par l’agence italienne LEAP. Cette version dispose de 30 m2 de plancher pouvant accueillir 12 personnes. Seul équipement, une cuisine alimentée par des panneaux solaires placés sur la partie supérieure de la « carlingue ».
Cabane de Tracuit en Suisse
Ce refuge est installé à 3 256 mètres sur les hauteurs de la commune de Zinal, dans le Valais. Un an de chantier (2012-2013) a été nécessaire pour mettre en œuvre ce projet en structure bois recouverte d’acier inoxydable et de 95 m2 de capteurs photovoltaïques. Déployé sur quatre niveaux, le dispositif intérieur propose 116 couchages. La conception imaginée par Savioz Fabrizzi Architectes permet notamment de récupérer l’importante chaleur émise par les occupants. La cabane de Tracuit offre l’agrément d’être ouverte toute l’année, même lorsque les conditions climatiques sont les plus rudes.
Bivacco Matteo Corradini en Italie
Dans le val de Suse, sur la ligne frontalière avec la France, ce bivouac porte le nom d’un alpiniste mort accidentellement auquel sa famille a voulu rendre hommage. Conçu en 2019 par les architectes Andrea Cassi et Michele Versaci, cet abri pour six personnes s’inspire de la forme de l’émetteur de rayonnement de Planck, soit un corps noir qui transforme le rayonnement en chaleur. Installée à 2 850 mètres d’altitude, la structure a été réalisée en pin d’arole, un bois typique des Alpes, recouvert de panneaux d’aluminium teinté noir.
Cabane du mont Rose en Suisse
Implanté à 2 883 mètres sur les pentes du mont Rose, ce projet est le fruit d’une réflexion entre la section Monte Rosa du Club alpin suisse et l’École polytechnique fédérale de Zurich. Livré à la fin 2009, ce refuge de 120 places a fait l’objet d’une construction en bois des plus complexes – avec couverture en aluminium – augurant de cette forme qui évoque un cristal de roche. À noter que 90 % des besoins énergétiques de la structure sont autogénérés : recyclage des eaux grises, stockage de l’eau de la fonte des neiges, panneaux photovoltaïques…
Caltun Shelter en Roumanie
L’architecte Marius Miclaus (Archaeus) a imaginé ce refuge comme un phare érigé à 2 100 mètres d’altitude dans les monts Fagaras. Livré en 2016, le bâtiment composé de trois modules préfabriqués se déploie sur 35 m2. Il peut accueillir jusqu’à 19 personnes ainsi qu’une équipe de secours (3 personnes), qui dispose de son propre espace. La forme monolithique de l’édifice ne possède pas de fenêtres, uniquement un puits de lumière naturelle. Pas de toilettes ni d’eau courante pour cet abri, mais des cellules photovoltaïques pour recharger des batteries, notamment celles de détecteurs de victimes d’avalanches (DVA).
Riffugio al Sasso Nero en Italie
Accessible depuis la commune de Valle Aurina dans le Sud-Tyrol, ce refuge a été inauguré en 2018 après deux ans de travaux. L’édifice déployé sur six niveaux et doté d’une soixantaine de lits – et 90 m2 de cellules photovoltaïques – se trouve à 3 026 mètres, pour ainsi dire à cheval sur la frontière avec l’Autriche. Selon les architectes Stifter + Bachmann, son volume compact, presque monolithique, s’apparente à un nouveau sommet. Sa couverture en feuilles de cuivre, qui s’est oxydée avec le temps, lui permet de faire corps avec la roche sombre du paysage.
Bivouac Fanton en Italie
Dans le massif de la Marmarole, à 2 667 mètres d’altitude, ce refuge épouse la topologie des lieux, presque en équilibre dans la pente qui conduit au col de Forcella Marmarole. À l’intérieur, l’espace de 10 mètres de long sur 3 mètres de large, habillé de bois, se déploie sur quatre niveaux descendants où une douzaine de personnes peuvent prendre place. Les architectes de l’agence Demogo ont imaginé, pour la face tournée vers la vallée, une baie vitrée qui incite les occupants à la contemplation.
Refuge du Goûter en France
Depuis 2012, ce refuge est sans doute le plus connu de France. Lorsque le soleil frappe sur sa coque en acier inoxydable, il se distingue depuis Saint-Gervais. Placé à 3 835 mètres d’altitude, il est une halte incontournable pour l’ascension vers le mont Blanc. Proposant entre 20 couchages (en hiver) et 120 (en été), le bâtiment conçu par l’architecte Hervé Dessimoz (Groupe H) abrite 720 m2 de plancher. Sa forme ovoïdale permet de supporter les vents qui, à cette altitude, peuvent atteindre 300 km/h.