William Morris naît dans le petit village de Walthamstow, Essex, en 1834. Celui qui était jusqu’ici une figure associée au mouvement Arts and Crafts apparait désormais comme un pionnier éclairé de la création vertueuse. A l’occasion de l’exposition qui lui est dédiée cet hiver à Roubaix, retour sur l’œuvre du designer textile, dessinateur et architecte anglais.
Une enfance sous le signe de la nature
Le père de William Morris est un agent de change qui a fait fortune dans les mines du Devon et sa mère vient d’une famille de musiciens. William est le deuxième garçon d’une fratrie de neuf enfants. De santé fragile, il évite les rigueurs des pensionnats anglais au profit des joies de la campagne où naît son intérêt pour la nature. Faut-il voir dans la proximité avec ses deux sœurs aînées, l’origine de son féminisme à venir ?
Entouré de précepteurs, William Morris lit dès l’âge de quatre ans. Son monde s’agrandit ensuite sous l’influence de Walter Scott, pionnier du roman historique, tendance médiévale. L’enfant grandit ainsi, nez au vent et au grand air en habitué des marches en forêts, enveloppé par la senteur des fleurs.
En 1853, William Morris intègre l’Exeter College d’Oxford et commence à étudier la théologie. Il s’intéresse même à la religion catholique (minoritaire en Angleterre) au point de caresser l’idée de devenir prêtre.
L’art comme seul culte
L’amitié va finalement le guider vers un autre chemin. Elle a pour visage celui d’un certain Edward Burne-Jones qui n’est pas encore le grand peintre préraphaélite qu’il va devenir. Avec d’autres étudiants, ils voyagent dans le Nord de la France pour visiter les cathédrales gothiques et jusqu’en Belgique à la poursuite des primitifs flamands de Gand à Anvers. William abandonne dès lors toute idée de prêtrise pour ne se vouer plus qu’à un seul culte : l’art.
Dans la vie culturelle de l’époque victorienne, la confrérie des Préraphaélites est née dans le rejet des effets majestueux de la peinture à partir de Raphaël. Trois autres artistes issus de la Royal Academy of Arts en sont les fers de lance ; Dante Gabriele Rossetti, William Holman Hunt et John Everett Millais.
A Oxford, en bon fan du grand théoricien de l’art anglais John Ruskin, Morris lit dans son livre Les Pierres de Venise que cette ville n’existerait pas sans les artisans qui en ont sculpté les pierres. Ces derniers importeraient donc autant que les artistes. Convaincu, Williams Morris décide d’étudier l’architecture aux Beaux-Arts.
Une figure des arts décoratifs
En 1858, alors que William Morris et les artistes préraphaélites retournent à Oxford pour décorer l’Union Library, il rencontre une ouvrière, Jane Burden, qu’il épouse l’année suivante. Elle sera le modèle favori des peintres préraphaélites. Les Morris et les Burne-Jones vont quasiment faire maison commune à la Red House, une demeure spécialement conçue pour associer vie de famille(s) et de travail. Ce chef d’œuvre commun est une grande maison atelier en brique rouge, à Bexleyheath, dans le sud-est de Londres. Là Morris va, à plusieurs reprises, peindre à même les portes en bois des buffets conçus toujours par ce même cercle d’amis. Inutile de dire qu’on fait aujourd’hui la queue pour visiter les lieux.
Architecte d’origine, son ami Ford Madox Brown a conçu pour la maison d’édition de William Morris et ses associés, la fameuse chaise et le fauteuil Sussex en bois verni noir et paille. Les dossiers sont ajourés, constituées de fins montants de bois. On peut en avoir une idée aujourd’hui en allant au Musée d’Orsay.
Pendant qu’il dessine des cartons de tapisserie ou des motifs de papier peints qu’on admire aujourd’hui dans les grands musées, ce même cercle de créateurs travaille avec lui et pour sa maison d’édition Morris, Marshall, Faulkner & CO qui édite entre autres la petite table en bois de son ami l’architecte Philip Webb.
La Morris & Co était l’équivalent, aujourd’hui, d’un grand studio de décoration et d’architecture intérieure. L’un de ses meubles le plus emblématique est un buffet dessiné puis réalisé vers 1880 par l’architecte Philip Webb pour Morris & Co. Opulent, ce meuble en acajou verni se distingue par des panneaux en cuir repoussé, peint et doré. En même temps, pour ce qui est des créations de Morris lui-même, il est surtout passé à la postérité pour ses papiers peints à motifs, floraux, végétaux voire de fruits. Parfois de petits animaux s’y cachent dans une myriade de volutes graphiques. Inspiration de la nature, univers graphique chatoyant, Morris annonce avant 1900 aussi bien les bobos d’aujourd’hui que leurs grands-parents boomers période psychédélisme.
Au fil des années, William Morris, qui travaille avec ses deux filles, s’investit aussi bien dans la boutique de Londres que dans ses ateliers de papiers peints. L’artiste fonde aussi la maison d’édition Kelmscott Press. Ses beaux-livres sont ultra graphiques. Il s’agit des propres textes de William Morris ou de traductions de l’islandais, du vieux français ou du grec ancien.
Un artiste engagé
L’homme est aussi passionné de politique. Révolté par la condition des laissés-pour-compte de l’industrialisation de l’Angleterre, le quarantenaire considère que l’industrie détruit les hommes et la nature. Ses textes sont à la fois révolutionnaires et écologiques. Lui-même chef d’entreprise, il ne jure que par les petites équipes d’artisans impliqués qui collaborent avec des artistes. Ainsi, William Morris est considéré comme l’un des fondateurs du mouvement Arts & Crafts puisqu’il a défendu l’idée de l’art dans tout et pour tous face à l’industrialisation des savoir-faire artisanaux.
En 1881, William Morris crée La Ligue Socialiste, ancêtre du Parti avec Eleanor Marx, la fille de Karl. Le créateur anglais lisait Le Capital de Karl Marx en français en l’annotant volontiers. May Morris, brodeuse accomplie, a même fait pour son père une pochette du livre en soie fleurie. Jusque dans les années 30, les bulletins d’adhésion du Parti Socialiste anglais étaient encore ceux dessinés par William Morris.
Il est engagé, il manifeste, on l’arrête avec des suffragettes. Au bout d’un an, William Morris quitte La Ligue devenue très anarchiste. Plus qu’à leurs idées, il s’oppose à la violence qu’ils prônent. Lui sillonne l’Angleterre pour y prononcer, parfois juché sur une caisse, des discours parfois lyriques.
La première entreprise de Morris a beaucoup travaillé pour les églises anglaises. Il devient ensuite suffisamment indépendant pour faire travailler les artisans dans de bonnes conditions. Il fait quasiment autant travailler les hommes que les femmes avec le même salaire. Ses clients huppés ne sont pas gênés par l’engagement de celui qui défile avec les suffragettes ou se fait embarquer par la police avec des manifestants. Les socialistes eux-mêmes le trouvent crédible.
William Morris a réussi à vivre selon ses préceptes. Faire travailler et former les meilleurs artisans dans une abbaye à côté de Wimbledon, comme si c’était une guilde. Quand il dit « Le travail est au centre de la vie », c’est dans ce sens-là. William Morris disparait, épuisé, à 62 ans. « Il meurt d’avoir été William Morris » dira le médecin à son épouse.
William Morris exposé à Roubaix
Comme dans une maison, les fonds colorés des salles de l’exposition de l’exposition William Morris du musée de la Piscine de Roubaix soulignent à quel point Morris n’est pas le précurseur du style minimaliste. Les murs abondent en papier peint à motifs de végétaux, de grenades ou d’arabesques : « N’ayez rien chez vous que vous ne sachiez utile ou que vous ne trouviez beau » disait t-il.
L’exposition de Roubaix dévoile ainsi le petit meuble de toilette en bois vert qu’il utilisait chez lui . Conçu par son ami le peintre préraphaélite Ford Madox Brown, il fait partie de ce mobilier qui, dans l’exposition, donne l’impression que William Morris n’était entouré que de créateurs et d’artisans.
William Morris déteste les objets statutaires. « Le plus grand ennemi de l’art est le luxe, l’art ne peut pas vivre dans son atmosphère. ». Le message de Morris est toujours bienveillant, sans diktat : « Si vous ne pouvez pas apprendre à aimer l’art véritable, apprenez au moins à détester l’art factice et à le rejeter. »
Sa devise « L’art dans tout», William Morris la met à l’œuvre pour une élite. Il va d’ailleurs décorer pendant plusieurs années pour la reine Victoria le palais Saint James.
Il est une référence auprès de la gentry (petite noblesse anglaise non titrée, ndlr) et de la bourgeoisie. Quand Virginia Woolf raconte le départ avec sa sœur du domicile parental pour Bloomsbury, elle écrit : « Je quittais William Morris. »
Lui et son univers n’ont pas quitté notre regard déco, reprenant même de l’importance avec les envies contemporaines d’art allié au respect des hommes et de la nature.
> Exposition William Morris : l’art dans tout au musée La Piscine de Roubaix (59) jusqu’au 8 janvier 2023