La Maison du Fada, au mitan du XXe siècle, introduisait à Marseille un village vertical. Plus de cinquante années plus tard, le concept revu et corrigé vient de s’implanter à Paris. Si La Félicité ne revendique aucune ressemblance avec la Cité Radieuse, l’idée d’un périmètre de béton dans lequel se pressent tous les besoins premiers des humains les rapproche. La comparaison s’arrête évidemment là, cette nouvelle œuvre architecturale, d’ailleurs confiée à un autre architecte de génie, David Chipperfield, n’ayant pas vocation à mettre en scène des théories mathématiques sur l’aménagement des espaces de vie…
Un chantier colossal destiné à réinventer Paris
Plus de trois années auront été nécessaires pour transformer l’ancienne Préfecture de la Seine, bâtiment moderniste achevé en 1966 par Albert Laprade, en ensemble séduisant. A l’origine de cette métamorphose, le premier concours « Réinventer Paris » initié par la Mairie en 2014 et remporté par Emerige.
Sur le papier, le nom du projet, « Morland Mixité Capitale », indiquait facilement sa fonction. Dans un quartier plutôt inerte, le promoteur féru d’art promettait d’introduire la culture pour tous. Logements sociaux et appartements cossus, un grand architecte aux manettes, l’un des plus importants plasticiens du moment à son sommet : Emerige a su être convainquant. Trois ans après le début des travaux, Anne Hidalgo inaugurait le 22 juin 2022 le complexe résidentiel sous son nouveau nom, La Félicité.
Lors de cette inauguration officielle, l’œuvre colossale du starchitecte David Chipperfield et de l’agence CALQ Architecture était dévoilée. Main dans la main, ils ont remodelé l’austère tour administrative pour lui adjoindre deux nouveaux jardins (aménagés par le paysagiste Michel Desvigne) et deux nouveaux bâtiments vitrés soutenus par une ronde d’arches. Celles-ci ont été imaginées afin de venir adoucir le caractère rectiligne du bâtiment historique, de même que son plan en H originel.
« Je crois qu’au-delà de la conception et de la construction d’un bâtiment, la qualité architecturale est aujourd’hui perçue dans la façon dont le bâtiment se connecte à son environnement, dont il enrichit la qualité de vie de tous les habitants et visiteurs, et ce grâce à une approche holistique de la durabilité. Dans le cas de La Félicité, le geste vers le public et la création d’un espace semi-public est un aspect important, à cela vient s’ajouter la superposition des différentes activités qu’elle comprend. » – David Chipperfield
La Félicité est dédiée à la mixité
En imaginant un lieu adressé à tous, Emerige avait l’ambition de redynamiser un quartier plutôt dépourvu de hot spots. Le promoteur a, depuis, revendu le complexe immobilier aux acteurs qui en feront le quotidien et à Nuveen Real Estate. Désormais, les touristes mais surtout les Parisiens auront la possibilité de (re)découvrir Sully-Morland, une parcelle de terre à l’histoire méconnue. Autrefois enrobé d’eau, le quartier était en fait une île, la troisième de Paris ! Souvent asséché, le bras de Grammont a radicalement été comblé en 1947, faisant disparaître l‘île Louviers au profit de ce qui appartient désormais au 4e arrondissement.
Les logements présentent d’évidents écarts de prix. Certains sont dédiés à l’habitat social, d’autres ont été vendus sur plan à plus de 16 000 € le mètre carré. De la même façon, La Félicité héberge deux hôtels s’adressant à différents budgets : le SO/ Paris, premier cinq étoiles de la marque SO/ détenue par le groupe Ennismore, et de The People Hostel, première adresse parisienne de cette collection d’auberges de jeunesse 3.0.
Ces deux options hôtelières abritent leurs propres concepts de restauration. Au sommet du SO/ Paris, l’émerveillement continue avec Bonnie. Cette nouvelle adresse du groupe Paris Society (Mūn, Girafe, Gigi…) offrira, dès la rentrée, une vue panoramique sur Paris dans un décor pointu signé par Jordane Arrivetz de l’agence Notoire. The People Hostel, quant à lui, a déjà ouvert les portes de son bar — le plus long de Paris — et de son restaurant, Titi Palacio. L’ensemble, un large vaisseau vitré et végétalisé, a été mis en scène par Atelier Olk. Enfin, le restaurant O’FAM, radicalement tourné vers le sud-ouest, offre une cuisine et une expérience authentiques.
Plus de onze « usages » complètent le quotidien de la Félicité, dont un véritable marché qui réunit pour la première fois l’ensemble des spécialités de Terroirs d’Avenir (boucherie, fromagerie, primeur, boulangerie). Un atelier de vélos, un concept-store dédié au recyclage de mode et de petit matériel électronique, un club de sport doté d’une piscine de 20 mètres ainsi qu’une crèche ont également pris leurs quartiers dans cette ville dans la ville.
L’art au centre de tout
Emerige ne serait pas Emerige s’il n’avait pas prévu dans son projet une galerie dédiée à l’art. L’Atlas occupe donc l’espace qui jouxte la boulangerie Terroir d’Avenir, en retrait du jardin Louviers. Cette « galerie des mondes » invitera, à l’occasion de cinq expositions annuelles des galeries, fondations ou institutions représentant des artistes méconnus en France. En septembre 2022, une première exposition co-créée avec Marfa’ Project et sa bande d’artistes libanais sera présentée entre ces murs.
L’art essaime aussi dans les réalisations de chaque acteur du projet La Félicité, et notamment à l’hôtel SO/ Paris qui s’engage pour l’avant-gardisme dans l’art, la mode et le design. Les uniformes de ses collaborateurs ont ainsi été créés par Guillaume Henry (directeur artistique de Patou). De nombreuses artistes ont également imaginé des œuvres spécialement pour l’hôtel : Neïl Beiloufa expose dans le lobby, Thomas Fougeirol dans les chambres, sans oublier l’installation immersive d’Ólafur Eliasson aux 15 et 16ème étages.
Et l’écologie, à La Félicité ?
Réinventer Paris sans donner au projet une dimension écologique aurait été un non-sens. Ainsi, l’ensemble résidentiel peut se féliciter d’avoir obtenu trois certifications (HQE rénovation/neuf 2015 Excellent, BREEAM Excellent et Wiredscore Gold), qui témoignent d’une conception tournée vers les nouvelles façons d’habiter. Un exemple parmi ses actions notables : une boucle énergétique récupère la chaleur depuis les équipements de climatisation et les redistribue dans les logements.
De la même façon, l’agriculture urbaine occupe une place de choix sur les toits-terrasses de La Félicité. Une ferme d’une superficie de 2800 m2 et gérée par l’entreprise Sous Les Fraises qui permet à la fois la culture verticale de 150 variétés de fruits, légumes et végétaux et la réutilisation des eaux grises récupérées au Titi Palacio.
> La Félicité. Accès depuis le boulevard Morland, les rues Agrippa d’Aubigné et de Schlomberg et le quai Henri IV. Paris 4ème et 12ème arrondissements. Plus d’informations.