Avec la collection capsule « Habito », le label de mode italien Weekend Max Mara introduit dans nos dressings une architecte et designer de renom. Parfaite occasion de causer chiffons avec l’élégante et cérébrale Patricia Urquiola.
IDEAT : Dans quel état d’esprit avez-vous conçu cette première ligne pour Max Mara ?
Patricia Urquiola : Le projet a été monté très rapidement. Nous nous sommes rencontrés et avons commencé à travailler en septembre dernier. Tout s’est déroulé de manière très fluide, le bureau de style a parfaitement compris l’âme d’« Habito » : une série de vêtements hybrides qui vous enveloppent comme un chez-soi et que l’on emporte comme un habitat émotionnel… J’adorerais que les gens se sentent bien dans ma capsule.
Comment avez-vous procédé ? À partir du design, des tissus ou d’une silhouette ?
Patricia Urquiola : Ce travail est le fruit d’une vraie collaboration. Tant et si bien que je crois vraiment qu’« Habito » exprime autant mon identité que l’ADN de Weekend Max Mara. La première approche a été décisive. Il s’agissait d’analyser les archives de la maison et de discuter ensuite autour de ce que nous aimions ! Mon intention était de réinterpréter des silhouettes de la griffe. Du coup, elles sont devenues over size, extrêmement confortables, et racontent une histoire de superposition.
IDEAT : Le gilet sans manches de cette collection Max Mara par Patricia Urquiola est-il unisexe ?
Patricia Urquiola : Presque ! Car si Weekend Max Mara est une ligne pour femmes, j’ai imaginé ce gilet en pensant à celui, typique, que portent les hommes espagnols, avec des ourlets très graphiques. C’est probablement ma tenue préférée, car elle révèle parfaitement mon univers de création et l’identité d’« Habito » : il est surdimensionné, facile à porter et visuellement très fort. En réalité, il est né d’un vêtement retourné qui nous a permis de « trouver » ses caractéristiques. À mes yeux, cette pièce a quelque chose d’ironique. Et donc de réjouissant.
Que représente Max Mara dans le monde de la mode ?
Patricia Urquiola : C’est une maison de prêt-à-porter héritière d’un long savoir-faire (depuis les années 50, NDLR), un jalon incontournable de l’histoire du made in Italy. C’était très agréable de concevoir ensemble des tenues qui me vont aussi bien qu’à mes filles, à toutes les femmes, en fait ! Des pièces que nous pourrions toutes aimer.
Vous aviez réalisé un cabas en cuir pour Salvatore Ferragamo, mais les vêtements, c’est une première…
Patricia Urquiola : Effectivement, mon expérience dans la mode se limitait jusque-là à la conception d’accessoires. C’est pourquoi il était judicieux, pour me lancer, de commencer par une collection capsule. J’ai adoré expérimenter ce domaine avec la liberté d’une débutante.
En quoi vos compétences d’architecte et de designer vous ont-elles aidée ?
Patricia Urquiola : On retrouve bon nombre de points communs avec l’architecture. Tout comme dans un aménagement intérieur pour lequel vous imaginez des volumes, vous évaluez les différents points de vue, vous étudiez le rapport à la lumière… J’essaie toujours de trouver de la magie, quel que soit le projet sur lequel je travaille. Je me suis dit : « Pourquoi ne pas tenter cette approche avec la confection ? »
Pour Foscarini et avec Eliana Gerotto, vous avez conçu la lampe culte Caboche à partir d’un bracelet vintage. La mode est-elle une source d’inspiration importante pour vous ?
Patricia Urquiola : Dans l’atelier, lorsque nous commençons un projet, ceux qui travaillent avec moi savent que nous « partons en voyage » et, souvent, nous ignorons où cela va nous mener. En ce sens, j’ai une approche « rhizomique » dans mes recherches. Ce qui signifie que tous les éléments ont la même importance et s’influencent mutuellement de manière horizontale, sans hiérarchie. En matière de mode, cela fonctionne particulièrement bien.
Directrice artistique de Cassina, vous aviez présenté, à Paris, une exposition de photos de et avec Karl Lagerfeld. Quel souvenir en gardez-vous ?
Patricia Urquiola : Je me souviens très bien du livre de photos intitulé Cassina as Seen by Karl (éditions Steidl), qui avait été publié à la suite de cet événement. C’était en 2018. Je me sens privilégiée d’avoir rencontré Karl Lagerfeld. Il voulait partager le regard qu’il portait sur ses pièces préférées, à travers une mise en scène inhabituelle. Je persiste à penser qu’il s’agissait d’un projet pionnier. J’aime quand des « contaminations » positives surviennent, c’est très important pour moi, car elles imprègnent mon travail et ma réflexion sur le design. Je me souviens, avec affection et gratitude, qu’il avait souhaité se procurer les tout premiers fauteuils Gender, juste après les avoir remarqués au Salon du meuble, en 2016. Et puis, plus tard, cette année-là, il m’a invitée à participer au numéro spécial du Vogue Paris parce qu’il voulait recueillir les opinions de femmes partageant avec lui certaines affinités. Il s’est montré très généreux.
Vous vous habillez avec une audace tranquille. Se vêtir, est-ce s’exprimer ?
Patricia Urquiola : Chacun devrait porter ce qui le fait se sentir bien. La mode nous permet à tous de nous extérioriser avec une grande liberté et c’est essentiel. Je suis architecte et designer, quand j’ai besoin de vêtements, je choisis ceux qui attirent mon attention, c’est-à-dire ceux qui sont en rapport avec mon univers. Une certaine association de couleurs, un tissu en 3D, la construction d’une robe, une forme originale… il doit y avoir un lien avec qui je suis.
Stylistes, designers, archis d’intérieur… tous créatifs. Tous différents ?
Patricia Urquiola : J’aime combiner différents domaines d’invention. Pour la réalisation d’une collection de prêt-à-porter, il y a des éléments communs avec l’architecture et le design de produit ; la clé est toujours d’apprécier le cheminement à toutes les étapes de la recherche et du développement. Mon travail est, je le redis, une exploration quotidienne de la façon dont nous investissons un espace, c’est la même chose pour ce que nous portons. Nous « habitons » les vêtements, en quelque sorte.
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