La Manufacture : le pari 100 % mode et design

Plutôt que de choisir, Robert Acouri, fondateur de La Manufacture, a intégré ses deux passions dans l’ADN de cette entreprise d’un nouveau genre. Dans la boutique parisienne et sur un site, ses collections de mobilier et de vêtements adoptent une esthétique intemporelle et un même goût pour l’artisanat d’excellence. Voici comment et pourquoi.

En juin, au prochain Salon du meuble de Milan, La Manufacture présentera 25 produits finalisés pendant la crise sanitaire et signés par un parterre d’architectes et de designers confirmés.

De Neri & Hu à Michael Young, en passant par Noé Duchaufour-Lawrance (avec un fauteuil, un canapé et un guéridon mêlant noyer et chêne), Patrick Norguet (une chaise), ou encore Constance Guisset (un très beau tabouret en grès) ainsi que le duo suédois de Front (un porte-parapluie).

La collection de prêt-à-porter automne-hiver, estampillée La Manufacture, a, quant à elle, été dévoilée durant la dernière Paris Fashion Week sur le thème des vides et des pleins.

La rencontre de deux passions

Le tabouret Allié de Luca Nichetto. Le designer italien est aussi le directeur artistique de la marque.
Le tabouret Allié de Luca Nichetto. Le designer italien est aussi le directeur artistique de la marque. DEPASQUALE+ MAFFIN / DR

S’entêter à faire de la mode et du design est un trait typique de l’esprit de Robert Acouri, dont le mantra pourrait être : agir jusqu’à trouver une solution ! Mais l’entrepreneur n’a pas attendu ce projet longuement mûri pour découvrir le vêtement.

Officiant aux finances tant de l’Opéra que des Ballets de Monte-Carlo, il était déjà fasciné par « ces ateliers qui confectionnaient à la main tous les costumes, dessinés par Karl Lagerfeld ou Botero, postiches en vrais cheveux compris. » Plus tard, il dirige la maison de luxe Ichthys pour laquelle il monte un bureau de style et de communication à Milan.

Pendant cette période, il sillonne les ateliers d’artisans italiens et ne tarit pas d’éloges sur ces petites PME familiales avec lesquelles le client développe une relation humaine de qualité. Surtout, il retient que les Italiens, devant la difficulté et la nouveauté, plutôt que de répondre par un « non » défaitiste, cherchent toujours une solution grâce à leurs réseaux de compétences.

Revenu en France, après un bref passage chez Loft Design By, il a l’idée de faire travailler des designers à la création de vêtements. Un projet naît, qui sera ralenti par la récession d’après la guerre du Golfe. Dans une conjoncture délicate, La Manufacture de Robert Acouri a néanmoins conservé cette boussole.

En l’absence de salons professionnels réguliers depuis 2020, la période incitait à la prudence. Pourtant, les distributeurs, aux États-Unis comme en Chine, ont passé commande sur catalogue ou sur Internet, tandis que cinq magasins distribuent désormais la marque au Benelux. Progressivement, un réseau d’agents s’est développé au plan international.

Quand un fauteuil inspire un manteau

 

Le canapé Liaison de Luca Nichetto.
Le canapé Liaison de Luca Nichetto. DR

Certaines pièces ont évidemment rencontré plus de succès que d’autres, comme le fauteuil Moro, de Sebastian Herkner, le canapé et le fauteuil Liaison, de Luca Nichetto, ainsi que son tabouret Allié, hommage à sa grand-mère.

Le fauteuil Melitea, une assise perforée, a d’ailleurs inspiré au designer italien, qui est aussi le directeur artistique de La Manufacture, l’esprit de la collection 2022, à travers la réalisation d’un manteau sur le thème des vides et des pleins. En mettant les mains dans les poches, on peut les glisser dans celles de son pantalon.

La même logique lui a soufflé l’idée d’un pull influencé par son miroir Soufflé. La styliste Milena Laquale, directrice artistique de la mode pour La Manufacture, s’est elle aussi nourrie de ce même thème, qui l’a conduite à superposer les matières, pour développer ses propres pièces.

« Plus que jamais nous travaillons à réunir mode et design », souligne Robert Acouri. À la boutique mode et design de La Manufacture, les curieux viennent d’ailleurs pour le design, mais finissent par acheter de la mode… et vice versa. Le fondateur savoure ainsi l’idée d’avoir reçu « une Japonaise, entrée pour un chemisier en soie, et qui a finalement acquis pour 35 000 euros de mobilier ».

Une clientèle internationale rompue à la vie du quartier, entre l’Opéra et le théâtre Édouard-VII, se développe sous la houlette du nouveau directeur de la boutique, Geoffrey, lequel peut également se targuer d’antécédents en matière de mélange des univers.

Avec lui, les devantures changent régulièrement. Ce jour-là, une paire de mocassins pour homme en daim violet, réalisés à Naples par Paolo Scafora, capte l’attention en vitrine par l’intensité de sa couleur. Si son prix transpire la qualité, il n’est pas décourageant pour autant. 

Des ponts entre les cultures et les pays

Dans le théâtre San Carlo, lors de la foire Edit Napoli, en octobre 2021, le miroir Soufflé, de Luca Nichetto, les fauteuils Calice, de Patrick Norguet, les tables basses Trio, de Nendo, entre autres.
Dans le théâtre San Carlo, lors de la foire Edit Napoli, en octobre 2021, le miroir Soufflé, de Luca Nichetto, les fauteuils Calice, de Patrick Norguet, les tables basses Trio, de Nendo, entre autres. DEPASQUALE+MAFFINI

La question de l’accueil est fondamentale pour Robert Acouri, pour qui la notion de service a disparu des boutiques bien achalandées. Son penchant va vers l’échange personnalisé, adapté à chaque client. Des influenceurs sont aussi régulièrement invités.

Le président du groupe Cider (spécialisé dans l’aménagement de bureaux) note que le public de la mode porte souvent un regard novice sur le design contemporain, alors qu’il apprécie de se faire photographier posant sur le mobilier de La Manufacture. Ça tombe bien, l’on peut facilement acheter ici le sofa sur lequel on patiente.

S’il avait en tête de ne pas « fashioniser » le design (et vice versa), Luca Nichetto revendique, à travers cette entreprise pourtant très fervente du made in Italy, un je-ne-sais-quoi également bien français.

Ses meubles et ses vêtements sont authentiques et, éventuellement, combinables. Un luminaire de l’Italien en verre de Murano éclairant une table du parfumeur Ben Gorham, qui intègre dans son piétement le « M » de La Manufacture Paris, que l’on retrouve aussi en boucle de ceinture… voilà l’idée.

Aujourd’hui, Robert Acouri est certain que les designers ont toujours été attirés par la mode, mais que celle-ci les a snobés. En 2022, il est désormais accepté que Jaime Hayón collabore avec Zara de même que Patricia Urquiola avec Max Mara. Même si les magazines de mode n’en parlent que peu.

Le couturier Pierre Cardin a pourtant dessiné beaucoup de meubles dès la fin des années 60, bien avant que Karl Lagerfeld ne lance lui-même une collection de mobilier pour la Carpenters Workshop Gallery. Pour Robert Acouri, le regretté Virgil Abloh était d’ailleurs emblématique de ce lien entre les deux univers.

Après tout, Patrick Norguet ne concevait-il pas les vitrines de Vuitton ? Sebastian Herkner n’assistait-il pas Stella McCartney ? Ce que Luca Nichetto résume à sa façon : « Nous souhaitons simplement faire des produits que les gens attendent. » Et pour Robert Acouri, cela n’a rien d’extravagant !

> La Manufacture, 3, rue Edouard VII, 75009 Paris. Lamanufacture-paris.fr