Qui êtes-vous donc, Faye Toogood ?
Faye Toogood : J’ai étudié l’histoire de l’art, puis j’ai été rédactrice déco du magazine The World of Interiors. Quand j’ai décidé de me lancer dans la création, je me suis rendu compte qu’il n’était pas question pour moi de dessiner des chaises ou des vêtements toute la journée. Je préfère travailler de manière transversale. Décoration intérieure, création de mobilier et d’objets, peinture, sculpture, toutes choses qui demandent de l’imagination, de la créativité et de l’émotion.
Une transversalité propre à votre studio ?
En 2008, j’ai créé mon studio en m’entourant d’une vingtaine de personnes aux compétences effectivement très diverses (graphistes, architectes, stylistes, designers…). Finalement, l’agence ressemble à un magazine, chaque département représentant une rubrique pour laquelle chaque collaborateur est invité à enrichir, par son regard spécifique, tous les sujets abordés chez Toogood.
La signature Toogood
Quelles seraient les connexions entre un vêtement et un meuble, par exemple ?
Faye Toogood : Selon moi, qu’il s’agisse de chaussures ou d’un lit, ils sont connectés à travers la combinaison d’une forme et de matériaux. Il y a des similitudes, des silhouettes qui se répondent. Et mon approche créative est la même pour l’un et pour l’autre. J’aime mélanger les époques, les goûts et les références. Ainsi la collection créée pour Birkenstock associe esthétique, sport, Grèce antique – que je relie au travail de sculpture abstraite, qui tend vers un idéal de beauté, de Barbara Hepworth – et clins d’œil à l’œuvre de l’artiste Paul Nash.
Quelles sont les étapes de votre création ?
De mon expérience de journaliste, j’ai aussi conservé une production expérimentale libre, à l’économie. Je démarre toujours par une histoire, puis je passe aux matériaux qui m’aident à soutenir le processus narratif et à définir la forme. Je ne dessine rien. En revanche, je réalise une maquette que je reprends jusqu’à ce qu’elle me plaise. J’ai apporté en Allemagne des maquettes des futures chaussures en 3D – en papier, en pâte à modeler, en métal ou en céramique –, ce qui a un peu désarçonné chez Birkenstock.
Birkenstock et la collaboration gagnante
Lors d’une collaboration, votre studio se plie-t-il aux méthodes des marques ?
Faye Toogood : Non, on ne change rien, nos méthodes bousculent leur train-train. Par exemple, habituellement, lors de ses collaborations, Birkenstock transforme une cou- leur, une matière ou une forme. Avec moi, la vision d’ensemble a été bouleversée. Nous avons poussé au maximum l’exploration et, avec eux, j’ai justement eu l’occasion de développer ma créativité au sens large, de la démocratiser, de l’industrialiser.
Vous dites vouloir unir l’artisanat et l’industrie. Comment faire ?
C’est mon vœu le plus cher, mais il est compliqué à mettre en œuvre, car les deux univers sont peu perméables. Pour mes propres créations, je fais travailler des artisans, notamment sur la première série de céramiques à mon nom, réalisée au Portugal et qui vient de sortir. Or, produites en petites séries, mes réalisations sont chères, collections de mode comprises. J’aimerais qu’elles soient plus accessibles.
« Je n’ai pas étudié le design et je suis une femme »
Vous dites vous sentir parfois comme « une intruse dans la pièce ». Pourquoi ?
Faye Toogood : Je n’ai pas étudié le design et je suis une femme. En plus, je franchis des ponts entre des univers souvent cloisonnés. Mais cela ne m’empêche pas de suivre ma propre voie expérimentale, d’apprendre et de mener à bien mes projets.
Quand avez-vous imaginé vos formes « gonflées » ?
Le gonflement XXL m’est apparu lorsque je suis devenue maman, il y a huit ans! J’ai creusé cette voie expressive et elle s’est transformée en manière de penser. La forme vient toujours en premier, puis la fonction et, enfin, l’alliance des deux. Ces rondeurs ne sont pas issues d’une géométrie parfaite, mais d’une intuition. On s’y sent physiquement bien, un peu comme dans des enveloppes, que l’on soit vêtu de l’une de mes robes ou assis dans mon fauteuil Roly Poly.
Quels sont vos prochains projets ?
Avec Birkenstock, nous avons évoqué un deuxième épisode ensemble. J’ai aussi un projet en cours avec une belle marque de streetwear, qui n’est pas anglaise… mais dont je ne peux rien dire pour le moment puisque le projet sortira seulement l’an prochain…