Interview : L’architecte Sophie Dries cultive le goût du contraste

Cette architecte et designer diplômée de l’ENSA Paris-Malaquais et de l’université Aalto, à Helsinki, a ouvert son studio parisien en 2014. Depuis, elle signe des espaces singuliers où son goût pour l’artisanat (elle-même crée des objets et notamment des céramiques), les matériaux, mais aussi l’art, sert une inspiration poétique. Elle vient de réaliser à Paris une boutique pour l'éditeur méditerranéen Trame.

L’édifice le plus émouvant ?
Sophie Dries : L’église Temppeliaukio, que j’ai eu l’occasion de visiter lorsque j’ai vécu à Helsinki durant mes études de design. Creusée dans la roche et conçue par les architectes Timo et Tuomo Suomalainen, elle est surmontée d’un dôme en cuivre tressé où la surface irrégulière de la roche cohabite avec le béton. La Fondation Barnes, à Philadelphie, m’a aussi fortement marquée par son contenu : de grands maîtres modernes mélangés à la collection de serrureries. La scénographie m’a influencée pour réaliser, chez moi, un cabinet de dessin atypique.

Le plus beau bâtiment historique ?
Trois bâtiments qui se situent dans trois villes que j’affectionne. À Paris, la Conciergerie – ce palais gothique est pour moi le plus beau bâtiment de la capitale. À Rome, les thermes de Caracalla – l’expression même du mythe et de la ruine antique. Et enfin, à New York, l’édifice initialement conçu pour le Whitney Museum, sur Fifth Avenue, par Marcel Breuer, ici dans la « capitale » outre-Atlantique.

Sophie Dries et ses deux passions

La ville la plus intéressante ?
Sophie Dries : Beyrouth est une ville habitée par une sorte de paradoxe énergisant où coexistent le chaos et une pulsion de vie tout à fait spécifique à cette cité. On y retrouve aussi le MiM, le musée des minéraux, situé à côté du Musée national de Beyrouth, le musée archéologique, mes deux passions !

Le quartier le plus intéressant ?
Le quartier de Galata, à Istanbul, composé de petites rues et de cafés. En pleine transformation, il constitue le trait d’union entre l’Orient et l’Occident. C’est d’ailleurs là que j’ai eu l’opportunité de réaliser mon premier projet de boutique.

Quartier de Galata à Istabul (Turquie)
Quartier de Galata à Istabul (Turquie) Anna

Une ville historique ?
Siwa, en Égypte, proche de la frontière libyenne. C’est à la fois une oasis et une ville vieille de trois mille ans, avec son architecture en terre et en blocs de sel. On y vit encore sans électricité et, malgré tout, elle reste l’un des lieux les plus beaux et confortables du monde.

Alvar Aalto, son architecte préféré

Votre architecte « historique » préféré ?
Sophie Dries : Alvar Aalto et sa femme Elissa Aalto, qui collaborait à tous ses projets. Ayant vécu en Finlande, j’ai eu la chance de visiter nombre de ses bâtiments. Par son approche conceptuelle et sa sensibilité particulière aux matériaux, Alvar Aalto incarne le mouvement moderne. Il privilégie l’utilisation des ressources naturelles, mettant en avant l’artisanat local, notamment le textile, la céramique, le bois ou le travail du lamellé-collé.

Le plus bel aéroport ?
Sans surprise, l’ancien terminal TWA de l’aéroport JFK, conçu par Eero Saarinen, et récemment réhabilité.

Hall du terminal de la TWA signé Eero Saarinen à l’aéroport JFK de New York.
Hall du terminal de la TWA signé Eero Saarinen à l’aéroport JFK de New York. Max Touhey

Un mouvement architectural ?
Le mouvement Art déco, caractérisé par de grandes variantes. À Miami, dans sa version très pop. À Vienne, dans une version ornementale et encore Art nouveau qui, par la suite, s’est vue radicalisée par Adolf Loos, l’un de mes architectes préférés. À Paris, bien sûr, où sont venus se croiser dans les bals des Années folles les décorateurs Jean-Michel Frank, Paul Dupré-Lafon et les architectes modernes, des puristes tels que Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens ou encore Pierre Chareau.

« Anne Holtrop, pour moi l’un des meilleurs architectes aujourd’hui »

Un bâtiment du XXe siècle ?
Sophie Dries : L’Opéra de Sydney (1973), ville où je vais souvent pour mes projets d’hôtels australiens. Signé Jørn Utzon, un architecte danois, je l’affectionne particulièrement. J’ai eu la chance de séjourner à la villa Can Lis, à Majorque, en 2015, sa maison d’été devenue résidence d’architectes et j’ai réalisé plusieurs collections à partir de réflexions nées là-bas (notamment « Traces », sa première gamme de tapis, NDLR).

L’opera de Sydney (Australie).
L’opera de Sydney (Australie). Henrique felix

Et un bâtiment du XXIe siècle ?
La Fondation Beyeler (1997) par Renzo Piano, à Riehen, près de Bâle, en Suisse. Lors de ma première visite, la nuit, l’éclairage et la réflexion sur l’eau du bassin m’ont donné l’illusion que ce bâtiment faisait deux étages. Parmi les bâtiments que je n’ai pas encore pu visiter, figurent les réalisations contemporaines du Néerlandais Anne Holtrop, pour moi l’un des meilleurs architectes aujourd’hui.

À quelle autre profession peut-on comparer celle d’architecte ?
À celle d’un chef d’orchestre, car nous autres, architectes, nous possédons une vue d’ensemble des choses, mais nous ne savons pas jouer de tous les instruments. L’architecture rime aussi pour moi avec l’idée du voyage. Il s’agit d’aller visiter un lieu pour y faire l’expérience de l’espace. Ce voyage est un prétexte pour entreprendre un nouveau périple, un agencement, l’opportunité de visites et de rencontres, qui permettent ainsi de donner naissance à l’inédit.

> Sophie Dries Architect. 50 rue de Bourgogne  75007 Paris – France. sophiedries.com