« Un été des lucioles. » Un titre en écho à « L’Article des lucioles », un brûlot publié par Pier Paolo Pasolini dans le Corriere della Sera, en 1975, dans lequel il dénonçait la dictature consumériste, le capitalisme moderne et l’hédonisme forcené : « Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à cause de la pollution de l’eau à la campagne (fleuves d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître. Cela a été un phénomène foudroyant et fulgurant. »
Les Rencontres d’Arles dialoguent avec les plasticiens
Une allégorie de l’extinction de la beauté dans le monde contre laquelle s’insurge, en 2009, le philosophe Georges Didi-Huberman dans Survivance des lucioles (Éditions de Minuit). Il écrit : « Les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leurs signaux lumineux. On tente de suivre la leçon de Walter Benjamin, pour qui déclin n’est pas disparition. Et les images, pour peu qu’elles soient rigoureusement et modestement pensées, ouvrent l’espace pour une telle résistance. »
Sous ce double parrainage, Christoph Wiesner a donc bâti une programmation « pour rendre perceptibles les éclats démultipliés saisis par les photographes et artistes invités », car dans ce festival, non seulement les photographes rendent comptent de l’état du monde, mais ils dialoguent désormais avec des plasticiennes comme Ana Mendieta ou Annette Messager.
Un chapitre féministe
Une invitation qui ne surprendra pas ceux qui se souviennent que Christoph Wiesner, ancien colistier de Florence Bourgeois à la direction artistique de Paris Photo, fut un temps à la tête de la galerie parisienne Yvon Lambert. Si, au chapitre féministe, Les Rencontres tentent de corriger la sous-représentation des femmes ces dernières années, c’est plutôt à la problématique de l’identité et du genre que s’attachent nombre des vingt commissaires invités, dont Alona Pardo, qui œuvre à la Barbican Art Gallery, à Londres. Elle explore ainsi les « Masculinités » véhiculées dans les médias de 1960 à nos jours et interroge l’image de l’homme.
Les réponses proposées dynamitent le stéréotype du Blanc hétérosexuel et sa force tranquille : elles puisent notamment dans le répertoire homo-érotique de Peter Hujar, dans les portraits de Catherine Opie où des modèles féminins arborent de belles moustaches ou encore dans les corps nus mis en scène par le Nigérian Rotimi Fani-Kayode. Mort du sida en 1989, l’homme dont le travail fut souvent comparé à celui de Robert Mapplethorpe s’appuyait sur ses racines africaines et ses « valeurs spirituelles ancestrales » pour libérer le corps noir de tous les carcans et rendre visible l’émergence d’un monde post-colonial.
Bouleversement culturel
Les politiques raciales, sociales et culturelles traversent les corpus de nombre d’artistes, la question du mieux-vivre aussi. Et depuis longtemps. En témoigne la « relecture » de l’œuvre de Charlotte Perriand, qui élabora un « art d’habiter » en lien avec la nature, en rupture avec les codes d’alors, mais en parfaite adéquation avec nos préoccupations post-confinement.
L’exposition « Comment voulons-nous vivre? Politique du photomontage », curatée par Damarice Amao, démontre que la photo joua un rôle capital dans le processus créatif de celle que Josep Lluís Sert qualifie d’« urbaniste de l’habitation » : elle l’utilisait à la fois comme source d’inspiration (ses archives, composées de tirages d’époque, négatifs, magazines découpés, etc., sont ici montrées pour la première fois au public) et comme élément constitutif de ses réalisations. En 1936, Charlotte Perriand a notamment conçu un photomontage monumental, intitulé La Grande Misère de Paris, pour dénoncer l’urbanisme insalubre.
> Les Rencontres d’Arles. 34, rue du docteur Fanton, 13200 Arles, Tél. : 04 90 96 76 06. Du 4 juillet au 26 septembre. Renseignements.