Interview : Studio KO, présidents du festival Design Parade Toulon 2021

La sobriété tout en brique du musée Yves Saint Laurent, à Marrakech, c’est eux. Le mix & match du Chiltern Firehouse, à Londres, encore eux. En Corse, au Maroc ou à Cassis, les maisons pour des particuliers qu’ils imaginent font toujours corps avec leur environnement et liftent, avec tact et audace, architecture vernaculaire et artisanat local. Rencontre avec Karl Fournier et Olivier Marty, architectes fondateurs de Studio KO et présidents du jury enthousiastes du festival Design Parade Toulon 2021.

Studio KO, que signifie présider le jury du festival Design Parade Toulon ?
Karl Fournier et Olivier Marty : Cela nous offre la possibilité de rencontrer une nouvelle génération qui n’est pas encore engagée dans une carrière. Nous n’enseignons pas, donnons très peu de conférences et, hormis une expérience très enrichissante de jury aux Arts-Déco et à l’école Camondo, nous n’avons que peu de rapports avec les étudiants. Or, c’est une chance que d’être reconnectés avec eux. Par ailleurs, il arrive aussi un moment où il est important de commencer à « transmettre », même si le terme est trop réducteur, car ce qui se construit est, en réalité, de l’ordre de l’échange.

Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération ?
Leurs propositions sont imprégnées des problèmes que nous traversons – changements climatiques, rapport de l’homme à la nature, reconversion de bâtiments existants – et sont donc particulièrement en phase avec notre société. Quand on est étudiant, on est encore dans une utopie, et c’est précieux. Cela a été vrai pour nous, puisque nos projets les plus radicaux ont été faits en sortant de l’école. Par la suite, on est vite happé professionnellement par la nécessité de « faire tourner la machine » et le risque est alors de s’éloigner un peu trop du doute.

Studio KO et l’architecture vernaculaire

En quoi étiez/êtes-vous radicaux ?
À peine diplômés, nous avons construit une maison en terre au Maroc, car il était alors impensable pour nous, dans ce contexte-là, d’utiliser des briques ou des parpaings. Dès notre première commande, nous avons eu la chance d’avoir un client assez fou pour nous suivre, ce qui nous a permis de mettre en application des choses très théoriques apprises à l’école, notamment concernant l’architecture vernaculaire. Nous avons toutefois conscience qu’il est parfois très compliqué aujourd’hui d’emmener les clients dans cette direction.

Votre notoriété fait-elle qu’on vous demande de vous citer vous-mêmes ?
Assez peu, car il n’y a pas de style KO et la plupart des clients qui s’adressent à nous savent que nous ne nous répétons pas. Nous pouvons tout aussi bien concevoir une maison minimaliste que le mix & match de l’hôtel Chiltern Firehouse, à Londres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, sur notre site Internet et notre compte Instagram, les signaux que l’on envoie sont un peu tortueux. Une façon de passer le tamis. À chaque fois, nous remettons l’ouvrage sur le métier, car tout change : la page blanche du lieu, du contexte, du moment. Et notre goût, tout comme celui de nos clients, évolue également. Idem pour leurs attentes, qui restent le premier paramètre. Le revers de la médaille est que cette pratique prend beaucoup de temps et n’est, par conséquent, pas du tout rentable. Ce qui est rentable, c’est de faire un projet une fois et de le revendre dix fois.

Frontière floutée entre espace de vie et lieu de travail

Que voit-on dans votre exposition à l’ancien évêché de Toulon ?
Concevoir un projet sans avoir de client était un exercice vertigineux pour nous, auquel nous ne sommes pas habitués. Nous nous sommes donc inventé un client : un collectionneur, grand amateur de mode, de design et d’art, qui vit dans sa galerie, au milieu de ses pièces de mobilier et de ses œuvres d’art. Ou bien son appartement est devenu une galerie, on ne sait plus trop. Or, cette frontière floutée entre espace de vie et lieu de travail est encore plus pertinente depuis l’arrivée de la Covid. Nous ne sommes pas complètement partis de rien pour cette narration. Nous avions à l’esprit l’un de nos mentors. Un personnage dont nous sommes très proches et dont la rencontre a été déterminante pour nous. Nous avons en quelque sorte imaginé ce lieu pour lui et cela nous a permis de tirer un fil.

Pierre Bergé, un exemple fascinant

Il existe donc plusieurs fils dans cette exposition ?
Il y a aussi des clins d’œil cachés à des clients qui ont été décisifs. Ou une citation un peu second degré de projets actuels qui nous passionnent. L’exposition est également l’occasion de présenter et de partager des meubles ou des luminaires que nous avons dessinés pour nos clients et que nous n’avons jamais montrés.

Êtes-vous collectionneur ?
Karl Fournier : Pas vraiment. Ni d’art ni de design, même si j’achète parfois quelques pièces. Je n’ai aucune obsession de collection, mais je suis en revanche fasciné par ceux qui en ont une. Par exemple, Pierre Bergé. De son vivant, je me suis plongé dans sa collection et sa dispersion. Il se trouve qu’Olivier a horreur d’accumuler et même de posséder.

Studio KO met en scène les savoir faire artisanaux

Vous collaborez beaucoup avec des artisans ?
En France, nous avons cette chance extraordinaire d’avoir su préserver un tissu artisanal, en étant soutenu parfois, il faut le dire. Les États-Unis ont, par exemple, fait beaucoup pour cela, notamment avec une aide au financement de la restauration du château de Versailles, ce qui a permis de sauver des métiers. Dans d’autres pays, comme le Maroc, où nous travaillons souvent avec des artisans, ce tissu est encore plus vivant et essentiel. La collaboration avec les artisans requiert un process très lent, parfois difficile, mais toujours passionnant. Cela exige beaucoup d’écoute et de souplesse de part et d’autre. De notre côté, cela suppose que nous admettions que des choses inattendues surgissent et viennent enrichir l’idée première. Et du leur, d’accepter que leurs habitudes et leur savoir puissent être perturbés par une demande incongrue. Mais c’est une telle chance de parvenir à ce dialogue. C’est là que se cache le vrai luxe.

Qu’est-ce qui a changé pour les jeunes architectes d’intérieur ?
La discipline était très élitiste, elle est devenue plus accessible, en partie grâce à Instagram ou Pinterest, qui l’ont démocratisée. Il existe un véritable engouement du public pour les intérieurs, l’art de vivre. L’année passée a accéléré le mouvement, d’autant qu’il s’agit d’un domaine facilement commercialisable sur Internet.

> L’exposition du Studio KO est à voir jusqu’au 31 octobre 2021 à l’Ancien évêché. 69, cours Lafayette, 83000 Toulon.
> Retrouvez le palmarès du concours sur le site de la Villa Noailles.

L’exposition du Studio KO « la Culture de l’art » s’est installée pour l’été dans l’ancien évêché de Toulon.
L’exposition du Studio KO « la Culture de l’art » s’est installée pour l’été dans l’ancien évêché de Toulon. DR
Une façon de faire rentrer le visiteur dans l’intérieur fantasmé d’un collectionneur, « grand amateur de mode, de design et d’art ».
Une façon de faire rentrer le visiteur dans l’intérieur fantasmé d’un collectionneur, « grand amateur de mode, de design et d’art ». DR
Avec une certaine économie de moyens, le Studio KO a souhaité exprimer ce qui fait l’âme du duo.
Avec une certaine économie de moyens, le Studio KO a souhaité exprimer ce qui fait l’âme du duo. DR
Une sculpturale cheminée métallique a été postée au milieu de la pièce.
Une sculpturale cheminée métallique a été postée au milieu de la pièce.
Etude scénographie préparatoire du Studio KO pour son exposition à Design Parade Toulon.
Etude scénographie préparatoire du Studio KO pour son exposition à Design Parade Toulon. DR