Sur quel terreau est née la galerie Diurne ?
Thomas Zelmanovitch : Mon père est au départ un artiste, qui peignait au couteau des toiles abstraites plutôt denses, avec un travail de reliefs sur la matière. Son univers, souvent fait de couleurs et de formes rondes, s’est nourri des courants artistiques des années 1950 et 1960 et il l’a transposé dans des tapis/tableaux. Quand il a découvert l’artisanat tibétain, il en a apprécié certaines matières comme ravagées, avec beaucoup d’effets de teinture. Quand il a créé ses propres collections, il est parti de la matière. Par la suite, la galerie Diurne est devenue éditrice de tapis pour des architectes d’intérieur et des designers.
Qui sont les clients de la galerie Diurne ?
En dehors des passants du quartier, notamment le samedi, nous recevons beaucoup de professionnels. Malgré la crise, les projets d’architecture d’intérieur se poursuivent. Il n’y a que l’hôtellerie de très grand luxe qui marque le pas. Mais ce n’est pas notre principal marché, même si nous venons de travailler pour le Four Seasons, le Royal Monceau ou à la Mamounia.
« Plus le tapis est grand, plus l’artisan doit être précis »
Comment collaborez-vous avec les designers ?
Ils nous soumettent généralement des dessins, des idées ou des pistes d’inspiration. Nous leur présentons ensuite des échantillons. Cet échange permet aux designers de voir comment on peut travailler sur chaque élément précis. Certains designers savent très précisément ce qu’ils veulent. D’autres font vraiment confiance à notre studio de création et à notre savoir-faire.
Qu’est-ce qui importe dans l’élaboration d’un modèle ?
La qualité, la matière, le type de nœuds, de teinture… Nos tapis ne sont pas tous rectangulaires. Nous vérifions aussi si, techniquement, d’autres formes sont possibles. La taille importe aussi au sens ou plus les tapis sont grands, plus ils sont durs à fabriquer. La taille influe aussi sur le motif. Plus il est grand, plus l’artisan doit être précis.
« Personne ne veut être surpris… ou alors en bien ! »
Où vos tapis sont-ils réalisés ?
Au Népal. Nous y avons un atelier avec un ingénieur, un Français en partie formé dans l’Hexagone et qui vit sur place. Même si les projets prennent du temps à aboutir, il faut être très réactif. iIl arrive que nous ayons besoin d’un échantillon en trois semaines. Il faut donc que le studio crée le modèle, élabore sa teinture et donne des instructions à l’atelier. Il se met ensuite en place un suivi pour vérifier si le rendu final correspond à ce qui est attendu. Les clients attendent de la précision. Personne ne veut être surpris… ou alors en bien !
Les clients tolèrent-ils le possible imprévu de l’artisanat ?
Parmi les différentes qualités que nous proposons, les plus onéreuses sont celles qui prennent le plus de temps à fabriquer. Notre travail est d’expliquer à nos clients pourquoi ce temps est nécessaire et pourquoi il augmente le coût du tapis. Cette question est parfois délicate, mais entre le client et nous, il y souvent le décorateur qui explique les choses. On peut faire un tapis en 10 semaines pour 4 000-5 000 € et un autre en un an pour 50 000 €… En tout cas, la réalisation de toute commande démarre illico. Il n’y a pas de liste d’attente !
« Certaines personnes veulent des choses extraordinaires »
Qu’est-ce qui fait la complexité d’un tapis ?
A la fois le nombre de nœuds à réaliser, le motif et les effets de relief, comme sur le tapis Land de Raphael Navot. Le jeu de teintures oblige à teindre les fils de deux couleurs différentes, ce qui donne un effet moiré. On va ensuite jouer sur les reliefs. Certaines personnes veulent des choses extraordinaires.
Une fois le tapis réalisé, le temps qu’il a fallu importe-t-il ?
Notre expertise, c’est aussi de donner de bons délais. Le temps moyen, c’est 17 semaines, mais il dépend de la taille, de la densité, du nombre de couleurs, des finitions… Pour La Mamounia, nous avons fait les tapis en tufté main en quatre semaines alors qu’il y avait 300 m2 à habiller. Des studios comme ceux de Jouin Manku ou Philippe Starck sont habitués aux délais serrés.
« Des grands formats comme des tableaux modernes »
Quand le designer Raphael Navot a conçu le tapis Land, inspiré de photo satellitaires, pouvait-il imaginer le résultat final ?
Je ne pense pas. (Rire) Nous avons utilisé une technique particulière pour restituer les effets de terre vue du ciel. Ce travail d’échange est notre quotidien, comme quand nous travaillons avec de grands décorateurs. C’est lui qui nous a aussi donné envie d’éditer des créateurs et des artistes qui peuvent être par ailleurs nos clients pour leurs chantiers, comme Charles Zana.
Vous demande-t-on toujours des modèles de tapis classiques ?
Nous faisons des choses très classiques pour des gens comme Pierre-Yves Rochon ou Andrew Lynch, qui dessine des yachts à Londres. Nous avons travaillé aussi avec François Catroux (1936-2020) pour le roi Fayçal, sur de très grands formats comme des tableaux modernes. Ce type de tapis est apprécié des clientèles russe et arabe, qui ne commandent plus forcément des modèles classiques pour leurs appartements parisiens.
« Des tapis de plus en plus complexes »
Au final, à quoi servent les tapis ?
Ils habillent et habitent l’espace qu’ils délimitent et différencient, surtout dans les grandes pièces. Ils créent aussi de la continuité, de par leurs couleurs. Les techniques artisanales contribuent beaucoup à leur originalité. Le tapis contemporain est de plus en plus complexe, mais nous avons les outils pour répondre aux demandes des designers. Certains clients nous demandent aussi des tapis unis et ce ne sont pas forcément les plus faciles à réaliser…
> Galerie Diurne. 45, rue Jacob, 75006 Paris. Site Web.