1943 : l’architecte Giuseppe de Finetti lâche à Cini Boeri, alors à peine âgée de 19 ans : « Le travail de l’architecte est difficile, pas féminin. Je ne pense pas que tu sois à la hauteur. » Durant toute sa carrière, la jeune fille va s’employer à démontrer l’absurdité de cette remarque. Peu après, elle débute une collaboration de longue durée avec l’architecte Marco Zanuso (1916-2001). Et vingt ans plus tard, à l’aube de ses 40 ans, elle fonde son propre studio d’architecture et de design.
Cini Boeri, des principes forts
Les assignations genrées attribuent hélas parfois aux femmes architectes une sorte de supposé sens pratique, qu’on ne souligne jamais chez leurs collègues masculins. Peu importe à Cini Boeri, qui s’intéresse à l’habitat et la façon qu’on a d’y vivre. De ce fait, elle dessine du mobilier qu’elle inscrit dans le pur fonctionnalisme. A l’époque, on parle aussi facilement du sens de l’écoute typiquement féminin. Elle le pratique aussi, par conviction plus que par nature. Pour elle, l’architecture ne doit pas être une prescription autoritaire. Dans la triplette projet/contexte/client, ce dernier est le plus important. Et il ne doit pas être dirigé. Cela n’induit pas pour autant que Cini Boeri n’ait pas un univers bien à elle, reposant sur des principes forts. Mais si elle avait tenté de les imposer tels quels, la plupart des gens – surtout dans les années 1960-1970 – n’y auraient pas adhéré. La plupart du temps, l’architecte était sollicitée pour faire une maison plus belle.
Pour elle, une maison était plus belle, pas du point de vue purement esthétique mais quand les gens y vivaient tout simplement mieux. Sans être aussi connus que certaines pièces de son mobilier, ses constructions sont singulières, comme la fameuse villa Rotonda (1967), à Punta Cannona (Isla Maddalena), une maison ouverte comme un cirque de théâtre antique. Plus radicale, cette année-là, sa casa Bunker de béton gris anthracite à la Maddalena (Sassari) n’appartient pas non plus au registre de la villa moderne classique.
Entrer dans la vitrine
A une époque où les femmes architectes étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui, Cini Boeri a plus que piqué la curiosité, construisant jusqu’aux États-Unis. En 1976, c’est elle qui réalise le showroom de l’éditeur de design Knoll à Paris, boulevard Saint Germain, qui donne encore aujourd’hui l’impression aux visiteurs d’entrer dans la vitrine. En 1992, on retrouve un feeling presque similaire dans le magasin du prestigieux verrier Venini, à Venise.
Une originalité ultra contemporaine
Qui dit maison dit aussi meubles. Dès 1964, elle commence une longue collaboration avec l’éditeur Arflex. En 1973, son fauteuil Botolo, disponible en deux hauteurs, symbolise bien sa façon de concevoir un design radical sans que le résultat ne rebute les gens. Aujourd’hui, le Botolo d’Arflex, juché sur ses pieds comme sur des hauts talons, surtout en poil d’agneau de Mongolie ou en tissu pied de poule noir et blanc, affirme une originalité on ne peut plus contemporaine.
En 1979, son ensemble, sofa, lit et fauteuil Strips, rembourré comme une doudoune, lui vaut un Compasso d’Oro. Elle qui a signé du mobilier jusqu’en 2014, a eu un temps une image devenue familière, via la publicité dans les pages des magazines de décoration jusqu’au mitan des années 90. Elle y était représentée assise sur l’immatérialité transparente de sa chaise Ghost chez Fiam. Une chaise en verre épais de 12 millimètres d’un seul tenant : une vraie prouesse technique ! Une façon aussi de faire front contre l’adversité, de mener carrière en faisant fi des obstacles culturels qui ne l’ont pas minée.
En 2012, Cini Boeri confiait au site de notre confrère italien Domus : « Parler de joie n’est pas si facile, mais je recherche généralement la joie avec optimisme. J’aimerais aussi la communiquer aux autres. La joie est inhérente à l’acte de concevoir, de proposer quelque chose de nouveau et de le créer avec responsabilité et passion. » Un legs précieux pour les designers de tous les pays…