Devantures explosées, vitres béantes… A Beyrouth, dans le quartier de Mar Mikhaël, épicentre de la créativité libanaise, la myriade de studios et boutiques de design présente désormais un visage pantelant. Tout ou presque est à reconstruire, au vu de la proximité du quartier avec le port d’où l’explosion est partie. Dans un pays par ailleurs frappé par une crise économique sans précédent, ce drame constitue une nouvelle épreuve. « Cette année, les designers ont déjà été lourdement impactés par la dévaluation de la livre libanaise, par l’inflation, puis par la pandémie de Covid-19. Tout cela a pesé sur le commerce et le financement de leur création. Cette catastrophe vient s’ajouter au reste ; d’autant qu’elle a détruit une partie des stocks des designers », relève Guillaume Taslé d’Héliand, fondateur de la Beirut Design Fair.
Même son de cloche du côté de Nicolas Moussalem, co-fondateur de David/Nicolas dont le studio beyrouthin a été dévasté. Selon lui, c’est « toute une génération de designers, peintres, artistes et créateurs qui est impactée ». Néanmoins, il veut rester positif : « La scène libanaise ne dépend pas d’un lieu, mais d’une culture. Si la ville est détruite mais qu’on déplace nos bureaux, l’héritage demeurera. Et on va tout reconstruire, on sera beaucoup plus forts. » Demeure une inquiétude : le sort des jeunes designers. « Je crains que beaucoup de studios récents et de designers émergents soient durablement affectés. Pour ceux qui viennent de commencer, ça va être très dur… » Une autre inquiétude du designer concerne cette fois le futur de la créativité libanaise. « J’ai peur que cette génération crée des choses liées à ces explosions, comme l’ont fait leurs aînés, qui parlaient de la guerre qu’ils avaient vécue. De notre côté, David et moi nous sommes dits qu’il fallait aller de l’avant… »
Dans le même quartier beyrouthin, à 100 mètres de David/Nicolas, un autre espace dévolu au design a lui aussi été transformé en champ de ruines : la White Walls Gallery. C’est là qu’Houssam Kanaan, fondateur de Kann Design, expose sa production à Beyrouth. Depuis son atelier de Beit Chabab, situé à une vingtaine de minutes de la capitale, le designer organise déjà l’après. « Kann Design a été créé à Paris, mais la base de son histoire est cet atelier libanais, ouvert en 1958 par mon père. C’est là que se fait notre production, et ce n’est pas cette catastrophe qui va changer les choses. Ni effacer notre savoir-faire, ni faire disparaître le travail de nos artisans. » Pour pouvoir continuer à produire depuis son village, il a fait agrandir l’atelier. « On fera de notre mieux pour poursuivre, ne serait-ce que pour nos partenaires sur place », explique-t-il. Pour autant, importer du bois s’annonce difficile pour l’heure. « On cherche des solutions, comme passer directement par des scieries françaises, qui nous enverront leur bois par containers. Mais le problème du port (qui est détruit) demeure… » Entretemps, les artisans de Kann se sont rendus à Beyrouth pour réparer les portes détruites des appartements de particuliers démunis. L’entraide, au Liban, est une valeur sacrée…
Sur le studio et le campus de l’éditeur de luminaires PSLab, eux aussi installés à Mar Mikhaël (à 500 mètres du port), 80 % des espaces sont à reconstruire. Pour Rania Abboud, la directrice communication, « la perte architecturale dans ce quartier est immense. Cependant, les designers parlent déjà de signer de nouvelles commandes et de fabriquer de nouveaux objets. Notre communauté ne va pas perdre son élan. Au contraire. Et puis, le soutien reçu à l’international est incroyable. Il permettra à cette génération de designers de se relever. » Leur usine, située à une heure de Beyrouth (Bouar), est intacte. Depuis lundi 17 août, une partie de l’équipe s’y remet au travail, dans un bureau temporaire. « Nos projets, qui sont essentiellement à l’étranger, nous attendent. Nous devons respecter les dates de rendu. » Ou comment regarder vers l’avenir. Résolument.