Une soirée qui finit tardivement, des amis qui ne veulent pas rentrer en pleine nuit, un ami de passage en ville… Les raisons sont multiples pour convier une connaissance à passer la nuit chez soi. Cette invitation peut pourtant être compliquée pour les habitants d’un appartement d’une grande ville, aux dimensions exiguës. Certes, le canapé-lit ou le sofa peuvent servir de solution d’appoint, mais sans confort. C’est de ce scénario de vie qu’est partie Matali Crasset pour dessiner « Quand Jim monte à Paris ».
Nous sommes en 1995 et Matali Crasset travaille depuis deux ans pour Philippe Starck. La fille d’agriculteurs originaire du Grand-Est a obtenu son diplôme de designer industriel en 1991 après des études à l’ENSCI (École Nationale Supérieure de Création Industrielle). Elle intègre en 1992 le studio de Denis Santachiara à Milan mais n’y reste qu’un an avant de rejoindre celui de Starck pour une collaboration qui va en durer quatre. Sous sa direction, elle sera responsable du « Tim Thom », le design center de Thomson. Cela tombe bien, elle a envie de dessiner des objets électroniques…
Matali Crasset n’a pas encore pris son indépendance lorsqu’elle crée « Quand Jim monte à Paris ». Dans une démarche qui restera la sienne toute sa carrière, elle ne souhaite pas créer un meuble mais une solution à un « scénario de vie ». Pour elle, la vie n’est pas adaptée au design mais ou le design s’adapte à la vie. « Jim » témoigne de cette volonté d’inventer de nouveaux usages en dehors des typologies traditionnelles.
Le design qui s’adapte à la vie…
Pour rendre sa création le plus ergonomique possible – et surtout moins encombrante qu’un canapé-lit –, « Quand Jim monte à Paris » se range à la verticale. « Jim » affiche 1,90 m sous la toise. Mais une fois son matelas de type futon déroulé sur le « sommier », il révèle un lit d’1,20 m de large sur 1,90 m de long. Cependant, Matali Crasset ne voulait pas se contenter d’un simple lit d’appoint. Une lampe baladeuse et un réveil complètent donc le scénario de « Quand Jim monte à Paris ». Au fil des ans, le « Jim » est revisité et amélioré. Matali Crasset présente une seconde version avec un nouveau revêtement et propose toute une gamme de couleurs. Et en 2000, elle revisite la colonne en feutre, rendant l’objet plus léger. L’accueil de l’invité devient plus facile, plus pratique. La « colonne d’hospitalité » écarte la possibilité d’une nuit sur le fameux « clic-clac » que la designer a en horreur.
Cette idée séduit Domeau & Pérès. Respectivement sellier et tapissier, les deux artisans proposent à Matali Crasset d’éditer en 1997 le premier « Jim ». Seulement un an après, le trio part pour Milan afin de présenter la colonne d’hospitalité dans la section Satellite du salon du meuble de Milan, celle dédiée aux futurs talents. Le succès est au rendez-vous. Les commandes affluent d’Allemagne, d’Italie, du Portugal, des Etats-Unis… Grâce à « Jim », Matali Crasset est invité à exposer son travail à Berlin. Bref, « Jim » lui ouvre des portes et l’objet est aujourd’hui considéré comme un de ses objets cultes.
Matali Crasset déconstruit les codes
Car avec « Jim », la designer – qui n’aime pas dessiner de simples meubles ! – fait passer la fonctionnalité avant la forme, l’esthétique. « Alors que notre garde-robe a changé, nos meubles sont encore pour beaucoup ceux de nos grands-parents, constate-t-elle lors du lancement. Les questions qui m’animent sont : comment repenser l’habitat ? Injecter dans notre environnement de l’hospitalité, de la générosité ? Comment penser les petits espaces… ? » Nul doute que sa formation en design industriel l’a guidée vers l’essentiel… Par la suite, durant ses vingt ans de carrière en solo, Matali Crasset n’aura de cesse de creuser cette veine et d’élargir son champ de vision. Elle s’intéresse à la musique électronique, au commerce équitable, au textile, à l’art contemporain, mais aussi à l’artisanat. A chaque fois, elle déconstruit les codes afin d’en construire de nouveaux, plus pertinents, plus en phase avec la société…
> « Quand Jim monte à Paris » de Matali Crasset, Domeau & Pérès, 990 €.