Au Japon, la pluie, thème de votre exposition qui s’est tenue au Bon Marché Rive Gauche jusqu’au 16 février dernier, ne dérange personne. On est toujours bien reçu, même avec un parapluie mouillé. C’est un fantasme ou vous confirmez ?
Oki Sato : Il existe au Japon un étrange respect de la nature. Je parle du lien amical qui existe entre elle et les gens, car elle est omniprésente dans nos arts. Des films aux mangas, les petits esprits qui se manifestent à travers elle pullulent. Il existe un petit esprit pour la moindre de ses manifestations et ce pays les aime passionnément. C’est fou ! Qu’un phénomène naturel survienne et les gens se référeront à ces esprits ou aux démons ! Qu’une branche frotte la vitre et ils la surnommeront « scratche-fenêtre ». C’est ainsi qu’on explique aux enfants ce type de manifestations. Dans la littérature ancienne, ces petits personnages étaient déjà présents. Ce flot d’entités diverses demeure toujours connecté à notre culture et influence ce que je fais.
Les Occidentaux attribuent aux Japonais un intérêt pour l’imperfection…
C’est exact. Un individu parfait serait totalement ennuyeux. Un Superman sans aucun ami ! Quelqu’un de vivant a de bons et de mauvais côtés. C’est pourquoi donner de l’esprit à un objet, c’est aussi respecter ce que les gens peuvent ressentir à son égard. Quand je dessine des choses – une chaise comme un centre commercial –, le lien doit être amical.
Dans un monde globalisé et ultra-connecté, en quoi votre travail demeure-t-il japonais ?
Question très difficile… Quand je suis en train de dessiner, je ne pense pas particulièrement à la façon dont des compatriotes appréhenderaient mon projet. Je me concentre surtout sur sa fonction, son coût, la sécurité ou les matériaux que j’utilise. Rien de japonais là-dedans… Pour autant, une influence caractéristique peut intervenir ne serait-ce que parce que je vis au Japon. Même né au Canada, je mange japonais. J’ai sans doute aussi en moi beaucoup de ce supposé « caractère japonais », ce qui peut agir sur mon design. Disons que c’est inconscient, car je ne pense représenter aucun pays, aucune région ni culture.
Le regard occidental interprète ce qu’il y a de serein dans votre travail, telles vos couleurs pâles, comme étant typiquement nippon…
Nous disposons d’une très grande palette de nuances, à la différence des designers occidentaux, qui utilisent des couleurs à proprement parler. Entre les deux, je n’ai pas de préférence. Avec le noir et le blanc, déjà, sans oublier le gris au milieu, une très grande palette de teintes et de textures s’offre à moi… Je n’ai pas besoin de davantage de possibilités. J’essaie aussi d’aborder les matériaux pour leur valeur intrinsèque ; si j’utilise le métal, c’est pour qu’il ressemble à du métal ; quand je travaille le bois, ce n’est pas pour le teindre mais pour conserver sa lumière naturelle et ses ombres.
Utiliser de la pierre qui ressemblerait à du bois, du coup, ce n’est pas vraiment pour vous…
Si une pierre, au toucher, se révèle du bois, correspondant ainsi à un niveau d’émotion que j’espère procurer aux gens, alors pourquoi devrais-je m’en passer ? Il ne s’agit pas uniquement de surprendre. Je veux éviter de ne voir que la surface des choses comme une seule face d’une pièce de monnaie. Celui qui pense « Ceci est juste une tasse de café » n’est pas créatif et encore moins en train d’apprécier la vie. Alors que cette tasse pourrait devenir autre chose ne serait-ce que pour éviter qu’elle ne glisse entre les mains ! Entre la tasse et un verre, il peut y avoir interaction. Dans cet entre-deux, je trouve des idées intéressantes. C’est ce niveau-là qui m’inspire, pas de dessiner un nouvel objet cool.