Aujourd’hui encore, des spécialistes de la céramique consacrent leur existence à célébrer le bol à thé, le chawan. Mais loin de faire l’objet d’un culte, ce contenant symbolise une étape dans le voyage de la vie vers la mort. Raku Kichizaemon XV, dernier héritier d’une lignée dont l’histoire débute à Kyoto, à la fin du XVe siècle, le sait bien, lui qui affirme que le bol n’est en soi qu’un support de méditation. Depuis 1966, il en a créé des milliers.
Popularisé en Occident par le Britannique Bernard Leach dans les années 50, le raku (abrégé de raku-yaki, qui signifie « cuisson confortable ») relève d’une technique spectaculaire : la pièce portée au rouge dans le four est retirée brusquement et laissée à l’air libre, le choc thermique révélant instantanément les métamorphoses de l’émail. Ce procédé qui laisse apparaître tous les accidents de cuisson, magnifie trous et fentes comme autant d’aventures de la matière en fusion. Une manière de restaurer le lien essentiel entre nature et création.
Le raku est lié au zen ; le kintsugi à l’art de la résilience. Méthode de réparation des porcelaines ébréchées, fendues ou brisées, au moyen d’une laque et de poudre d’or, le kintsugi (de kin : or, et tsugi : collage) permet d’offrir une deuxième vie. Elle serait apparue au XVe siècle, lorsque le shogun Ashikaga Yoshimasa confia à des artisans chinois le soin de réparer son bol à thé favori. Alors qu’en Occident la meilleure des restaurations est celle qui est invisible, les adeptes de la jointure d’or montrent volontairement les brisures censées nous « réconcilier avec les cicatrices du temps », selon Myriam Greff, spécialiste française de cette technique. En redonnant son unité à une pièce et, par là, sa fonction, le kintsugi permet de sublimer les blessures, de transcender les épreuves.
Cette idée de la fragile perfection, Yuki Nara, 30 ans, en est dépositaire. Son père, Ohi Chozaemon XI, et son grand-père, Ohi Toyasai, appartiennent tous deux à l’Ordre du Mérite culturel. Un titre prestigieux dont il héritera un jour ainsi que de la fabrique familiale, à Kanazawa. Car Yuki Nara, douzième du nom, est céramiste et architecte. Et s’il perpétue la tradition, il s’emploie à la révolutionner à l’aide des nouvelles technologies et, notamment, des outils de modélisation en 3D. Son ambition ? Créer les vases du futur en s’inspirant des riches décors des poteries de la période Jomon (de 13 000 à 400 av. J.-C.) et des formes élancées de celles de la période Yayoi (de 400 av. J.-C. à 250 apr. J.-C.). D’une blancheur lumineuse, ses pièces légères et transparentes, qu’il appelle des « fleurs d’os », sont, d’après lui, « capables d’absorber leur environnement et d’en conserver l’ambiance particulière, reliant plutôt que séparant l’intérieur de l’extérieur ».