Né d’une mère autrichienne et d’un père italien, Ettore Sottsass voit le jour à Innsbruck en 1917. Au moment de choisir son orientation, il opte – comme son père – pour l’architecture qu’il étudie à l’École Polytechnique de Turin où sa famille a récemment emménagé. Dès la fin de sa scolarité, la Seconde Guerre mondiale éclate et Ettore Sottsass est contraint de rejoindre l’armée italienne. Fait prisonnier, il est enfermé dans un camp à Sarajevo, où il devient responsable de la cantine grâce à l’allemand qu’il maîtrise parfaitement.
À la fin du conflit, il travaille aux côtés de son père à divers projets de reconstruction de son pays et contribue en parallèle au magazine Domus, fondé par Gio Ponti. Mais Sottsass s’ennuie en Italie… En 1956, il traverse donc l’Atlantique et collabore avec l’agence de George Nelson (1908-1986), à New York. C’est le déclic. En Amérique, il s’initie au design industriel et découvre au même moment le Pop Art et la société de consommation américaine. Cette immense source d’inspiration le suivra tout au long de sa carrière…
Une collaboration manifeste avec Poltronova
La même année, il rentre dans la Botte et devient directeur artistique de l’éditeur Poltronova. Cette collaboration lui permet de développer son propre style, qui prend à rebours les préceptes rigoristes du Bauhaus, pour lesquels « la forme suit la fonction ». D’un point de vue formel, Sottsass mise sur des lignes simples et géométriques, mais égayés de motifs graphiques en couleurs primaires, ainsi que sur des matières nobles. Le buffet Credenza (1959) associe des poignées en bronze à des portes dont le palissandre est orné de larges bandes de couleurs. Le secrétaire Barbarella (1966), quant à lui, est fabriqué en noyer mais ses tiroirs sont en aluminium anodisé coloré.
En 1971, la gamme s’élargit en accueillant la série culte « Mobili Grigi ». Faite essentiellement de plastique et de fibre de verre, son aspect brillant et lumineux se veut un reflet des codes de la culture populaire américaine. La série comprend le lit Elledue et les lampes Asteroide (1968) aux diffuseurs en acrylique bleus ou roses. Mais l’œuvre qui a marqué durablement l’histoire du design reste le miroir Ultrafragola (1970) puisqu’il s’agit de la seule création de la série qui a dépassé le stade de prototype. Ce miroir blanchâtre évoque une longue et sinueuse chevelure ondulée. Une fois allumés, les tubes de néon qu’elle dissimule lui donnent une teinte de chair rosée qui participe à sa sensualité.
Du mobilier à l’électronique : la collaboration Olivetti
En 1958, Sottsass devient également consultant designer chargé de la Division Électronique pour Adriano Olivetti, le patron visionnaire de la firme technologique italienne. Son travail consiste alors à concevoir des machines à écrire. Si certaines reçoivent le Compasso d’Oro, la récompense suprême du design italien, comme l’Elea 9003 (1959), c’est surtout la Valentine (1969) qui marque les esprits. D’un rouge écarlate inspiré du Pop Art, ce modèle est léger et se transporte dans sa mallette. Son aspect ludique séduit le grand public et en fait un succès commercial durable.
Antidesign et contestations radicales
Si la culture populaire l’inspire, Sottsass s’oppose néanmoins au consumérisme US. Il revendique cette opposition en soutenant divers mouvements qui le dénoncent. Dans les années 1960, il rejoint le groupe Antidesign avant de contribuer, en 1979, au développement du studio Alchimia. Chacun de ces courants interroge l’implication des designers et des architectes dans la société de consommation et cherche à créer du beau utile. A la fin des années 1960, Sottsass lance des prototypes de meubles containers, les Superbox. L’objectif de ce projet est de réaliser du mobilier peu onéreux, mais surtout peu attractif, afin de ne pas pousser à l’achat futile. L’objet est envisagé selon ses caractéristiques propres et non pour sa dimension esthétique. En parallèle, il partage ses réflexions dans plusieurs revues comme Casabella, dans laquelle il publie en 1973 une série intitulée Il pianeta come festival (La Planète comme fête). Ses dessins incarnent la vision qu’il se fait d’un nouveau modèle de société où transparaissent architecture utopique et culture populaire. Et en 1975, il participe activement à l’exposition fondatrice « Italy: The New Domestic Landscape » au MoMA de New York.
Memphis, des punks au secours du design
En décembre 1980, Sottsass fonde le groupe Memphis autour de jeunes designers installés à Milan : des Italiens comme Michelle de Lucchi, des Anglais comme Georges Sowden, un Japonais… et même une Française (Nathalie du Pasquier). Le nom Memphis est tiré d’une chanson de Bob Dylan qu’ils écoutent en boucle. Au salon du meuble 1981, ces jeunes turcs du design dévoilent toute une collection de mobilier qui rencontre un succès immédiat. Mélange de matériaux inattendus et bon marché, formes à la fois inhabituelles et novatrices : Memphis fait souffler un courant d’air frais sur un monde du design un peu morose. Le pessimisme de l’Antidesign n’est plus ; désormais, place aux couleurs éclatantes, source de gaieté, comme en témoignent la chaise First, le meuble de rangement Beverly, la bibliothèque Carlton ou encore le meuble-totem Casablanca.
Avec Memphis, le mobilier se déstructure : le bahut semble ainsi repoussé – ou maintenu, selon le point de vue… – par un tube en métal chromé doté d’une ampoule rouge. Si ce rouge contraste avec le vert des portes, l’orientation de la lampe s’oppose à celle de l’étagère. L’axe de symétrie est rompu et les lignes, pourtant droites, divergent…
Le développement de Sottsass Associati
Après une poignée de collections, en 1985, Sottsass quitte Memphis pour se consacrer à l’essor de l’agence de graphisme et de design qu’il a fondé quatre ans auparavant. Au sein de Sottsass Associati, il s’attache à la conception de travaux de design industriel et d’architecture, et travaille alors pour Apple, Phillips, Siemens, Cassina, Fiat ou encore Zanotta. Il renoue aussi avec l’architecture. Entre 1989 et 1992, il réalise une série de demeures privées comme la Maison Wolf aux États-Unis (1987-1989), la Maison Cei à Florence (1989-1992) ou la Maison Yuko à Tokyo (1992), avant d’aménager l’intérieur de l’aéroport de Milan Malpensa entre 1994 et 1998. À la fin des années 1990, Sottsass travaille aussi des matériaux nouveaux pour lui, comme le verre (notamment avec le Cirva à Marseille) et la céramique (avec la Cité de Sèvres).
À sa mort, il laisse une empreinte considérable dans une multitude de domaines qu’il a, par sa curiosité, profondément bouleversés. Figure majeure du design du XXe siècle, il est aussi reconnu pour ses créations que pour l’empreinte théorique qu’il a laissée dans la discipline.