IDEAT : Vous êtes des habitués des allées de Maison & Objet mais, cette année, c’est à vous de défendre votre projet. Comment en êtes-vous arrivés là ?
SCMP Design Office : Jusqu’ici, nous avons beaucoup travaillé la typologie de l’accessoire, et surtout du luminaire. C’est un exercice que nous adorons car il permet une grande liberté pour un designer. Néanmoins, l’an dernier, nous avons commencé à réfléchir plus sérieusement au mobilier, qui est soumis à plus de contraintes. La chaise était notre défi numéro un. Après plus de six mois de recherche et prototypage – nous aimons faire évoluer un projet de notre côté avant de le soumettre à l’édition… –, nous avons proposé la chaise Galta à Kann, qui a été séduit.
Pourquoi Kann ?
Nous croyons résolument qu’un produit doit s’inscrire dans une démarche durable, être fabriqué à partir des belles matières et avoir été façonné avec passion et savoir-faire. Kann est le facteur x de cette équation. Leurs ateliers se trouvent au Liban où officient encore des vrais menuisiers valorisés pour leurs savoir-faire. Kann est un éditeur familial et cela se ressent au contact de leurs produits. Et même si la production a un caractère industriel car les pièces sont produites en série, le moindre détail technique trouve une solution dans les mains de leurs artisans, à l’image du large dossier incurvé de notre chaise ou de son assise qui dépasse du piètement à l’arrière.
Parlez-nous de cette fameuse chaise Galta…
La chaise est une pièce fascinante pour un designer, mais aussi assez anxiogène… Imaginer une assise est un exercice qui laisse finalement peu d’amplitude à un designer car elle doit répondre à un objectif hyper précis : celui de s’assoir confortablement. Nous nous sommes imposés encore plus de contraintes puisque nous avions envie de repenser la chaise de bistro, l’objet maniable, léger et pratique par excellence. Et en prime, elle devait être empilable ! Finalement, après une belle poignée de tentatives, Galta est née. C’est un mot de patois haut-savoyard qui signifie « grenier ». En la dessinant, nous avions en tête les repas improvisés où le nombre de convives dépasse le nombre de chaises disponible chez soi et où l’on finit par sortir les assises d’appoint… du grenier ! Nous voulions des chaises que l’on transporte et range facilement. Nous avons finalement créé, autour de cet univers, trois tables complémentaires.
Lors de ce Maison & Objet, tous les feux étaient braqués sur la Galta en coloris bleu…
La Galta existe dans quatre déclinaisons : en bois de frêne, de noyer, en chêne noir et en chêne teinté bleu. Les trois premières nuances sont des indémodables qui s’implanteront facilement dans les intérieurs du plus grand nombre alors que la quatrième demandera plus de créativité. Nous avons voulu nous amuser à ajouter une option avec plus de « peps » pour donner à la collection une autre dimension. Nous nous sommes arrêtés sur ce bleu qui vogue entre l’outre-mer et la nuance favorite de Le Corbusier. Bien qu’il soit tout sauf discret, nous l’avons trouvé intemporel. Il attrape également la lumière avec une rare intensité.
Quels sont les créateurs qui vous inspirent ?
Morgane Pluchon : Je suis une inconditionnelle de l’architecte suisse Peter Zumthor. Sa réflexion sur l’habitat, basée sur le simple fait qu’une « belle » architecture n’est réellement belle que si on se sent bien dans ses murs, traduit en tout point ma vision du design. J’ai horreur des produits qui sont décorrélés des usages de la vie quotidienne. Je loue aussi le talent et la personnalité extraordinaire de Charlotte Perriand. Un exemple pour toutes les femmes dans cette profession.
Sébastien Cluzel : De mon côté, j’ai toujours été attiré par le design industriel. En ce sens, j’admire Roger Tallon, le père du TGV à deux niveaux. Se dire qu’il a créé cette structure géniale, utilisée par des milliers de personnes chaque jour, sans que la majorité d’entre elles ne se posent la question de l’identité de son ingénieur est fascinant. Vous imaginez ! Son produit est devenu tellement « naturel » que personne n’y prête attention ! C’est aussi quelque chose que l’on souhaite mettre dans nos créations : la simplicité, l’évidence et le service rendu à tous.
Quel produit rêvez-vous de réinterpréter ?
La poignée de porte est un accessoire plus compliqué qu’il n’y paraît… Elle doit être ergonomique, confortable mais aussi discrète. Ça serait un beau challenge. A une autre échelle, nous aimerions beaucoup dessiner des lampadaires d’extérieur. Ils sont anonymes, comme le TGV de Tallon, et pourtant indispensables. Le réaménagement d’une aire d’autoroute serait aussi un projet passionnant.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Nous concevons des produits qui pourraient durer une vie avec l’idée que les gens les achètent et les aiment. Si cet amour vient à s’étioler, nous espérons qu’ils se retrouveront sur le Bon Coin, pas dans une poubelle ! La perspective d’une vie à l’infini pour nos produits nous ravit. Un peu à l’image des chaises Standard que Jean Prouvé avait dessinées pour les écoles et qui se retrouvent aujourd’hui chez les collectionneurs… Nous allons dévoiler un nouveau projet lors du Salone del Mobile en avril. Peut-être pouvez-vous donc nous souhaiter beaucoup de succès en Italie…
> Collection Galta par SMCP Design Office (Kann Design). Chaise à partir de 380 €.