Suspendue à la côte amalfitaine, la villa Malaparte doit sa notoriété au film Le Mépris, de Jean-Luc Godard (1963), mais aussi à un homme, François Halard. C’est en 1998 que le photographe français explore pour la première fois le bâtiment ocre situé à l’est de l’île de Capri. Il shoote un édifice fantomatique, abandonné, et revient à plusieurs reprises pour saisir la décadence progressive de la maison de l’écrivain italien. Cette mue l’inspire et le révèle. « J’ai réalisé que je pouvais m’approprier un lieu. Auparavant, je faisais des photos dans le cadre ; ici, j’ai pu créer mon propre encadrement. Je voulais exprimer une relation plus personnelle entre moi, l’espace et ce que je veux photographier. La villa m’a aidé à me rapprocher, à photographier de manière plus subjectivée », raconte l’auteur, qui met au point une écriture plus intime. « Chaque fois que je shoote une maison, je cherche à saisir l’esprit des lieux, fidèle à l’identité de ses propriétaires. » Car c’est toute la dualité de François Halard que de livrer des photos d’intérieur sans être un photographe « de décoration ». C’est pourtant dans ce registre qu’il a démarré…
Des lieux chargés d’histoire
Repéré par de grands noms de la presse déco et de mode alors qu’il est encore étudiant aux Arts déco, ce fils de grands décorateurs parisiens (Yves et Michelle Halard) intégre très vite de prestigieux magazines américains tels que Vogue US, House & Garden ou encore Vanity Fair. Jusqu’à sa découverte de la villa Malaparte, fièrement campée sur cette Méditerranée qu’il aime tant, et qu’il arpente et s’approprie de bout en bout. Il y a deux ans, il a exposé à Toulon, lors du festival Design Parade, « Suite méditerranéenne », un ensemble de petits et grands formats réunis en tirant un fil d’Ariane allant de Majorque à Capri et Aix-en-Provence, Roquebrune-Cap-Martin et Arles, où il vit dans une maison inspirée par celle du peintre Cy Twombly qu’il a photographiée à Gaeta, en Italie. Car c’est aussi ça, la signature de François Halard : un choix minutieux des intérieurs qu’il va shooter ; et, souvent, ce sont des maisons d’artistes ou dont l’architecture est unique.
Derrière son objectif, il s’inscrit à chaque fois dans les pas de ses hôtes : Louise Bourgeois, Cy Twombly, Saul Leiter, Luigi Ghirri ou Giorgio Morandi, nouant ainsi un dialogue avec eux. « Chaque projet est un hommage au lieu ou à l’artiste. Par exemple, chez Luigi Ghirri, j’ai voulu revisiter ses photos à travers mon reportage. Il est chaque fois indispensable que j’apprécie la personne dont je vais m’approprier l’univers. Je ne peux le traduire que si je l’aime. C’est alors que je me laisse porter par le sujet. Je travaille toujours dans l’urgence et de manière intensive, je suis très concentré. Et, surtout, je ne touche jamais à rien, contrairement aux reportages déco, où photographes et stylistes viennent apporter leur touche. »
Tout se joue dans le regard, le grain, le (dé)cadrage : « Le sujet de ce livre (François Halard – 2, chez Actes Sud), ce sont les artistes et la photographie. Je cherche à établir de nouveaux rapports entre eux. L’enjeu n’est pas de photographier des ateliers ou des lieux de vie d’artistes, mais de m’approprier ces intérieurs, de les interpréter par le biais de l’image. » Une façon de prolonger leur mémoire aussi, de la digérer pour en livrer une version très subjective, comme en témoigne ce deuxième volume de sa monographie, à l’instar des nombreux ouvrages publiés précédemment, qu’ils soient consacrés à son père ou à la villa Malaparte.
L’obsession de la beauté
« Ce livre est représentatif de ma façon de prendre des photos, c’est un anti-Instagram, car j’y montre sensiblement la même image plusieurs fois. Ça ne me dérange pas, au contraire, c’est ma façon de m’imprégner de l’endroit et de transmettre ce qu’il dégage », poursuit le photographe. Pour l’accompagner dans ce deuxième volume, qui réunit ses œuvres les plus récentes, Beda Achermann, le directeur artistique suisse, a poussé François Halard dans ses retranchements. Car le travail de préparation et surtout de post-traitement est long. L’idée des légendes griffonnées sur la plupart des pages, c’est lui ! Rien n’a été laissé au hasard. Un désordre savamment orchestré, qui traduit la passion et l’érudition d’un photographe esthète.