C’est un authentique chef d’œuvre… La suspension monumentale créée en 1969 par Jean Royère pour la maison de l’Iran à la Cité internationale de Paris fait partie des pièces majeures du créateur français (1902-1981). Ce 19 novembre à 20 heures, elle sera mise en vente aux enchères par la maison Artcurial dans le cadre d’une soirée où seront également dispersées des meubles signés Charlotte Perriand, Gio Ponti ou Ado Chale. Cependant, c’est le lustre de Royère qui a provoqué une levée de boucliers, certaines associations de défense du patrimoine reprochant à l’établissement public qui gère la Cité internationale, la Chancellerie des universités de Paris, de se séparer d’une pièce essentielle dans l’histoire des arts décoratifs français.
Pour mieux comprendre cette polémique, revenons à la fin des années 1950. Après avoir hésité entre la Yougoslavie et la Turquie, la Cité internationale confie finalement à l’Iran un terrain pour y construire un pavillon national. Construit sous la direction d’André Bloc et Claude Parent entre 1961 et 1969, le bâtiment en suspension s’élève aux confins de la Cité internationale et d’une autoroute et comprend une centaine de chambres réservées aux étudiants venus de Téhéran faire leurs études à Paris, comme l’Impératrice Farah en son temps.
Pour l’aménager, l’état iranien fait appel au Français Jean Royère, dont la réputation est alors bien établie auprès du shah pour lequel il a déjà travaillé. Dans l’appartement du directeur sur deux niveaux, Royère installe des balustrades en bois autour de la coursive, ses appliques au mur ainsi qu’un lustre XXL au centre de la pièce. Sa structure en fer forgé et laiton supporte vingt abat-jour en papier parcheminé. Des chaises des Eames complètent l’architecture intérieure. En 1972, sept ans avant la Révolution islamique, le bâtiment est abandonné par l’état iranien et, au fil des ans, il se dégrade et fait l’objet de nombreux pillages.
Vers une possible annulation ?
Néanmoins, le lustre – sans doute trop compliqué à emporter… – reste en place. En 2007, des problèmes de sécurité contraignent la Cité internationale à condamner l’accès au bâtiment. L’année suivante, il est inscrit au titre des Monuments historiques mais ce classement ne concerne pas l’intérieur ni le mobilier… Et depuis des travaux se poursuivent pour rénover cet édifice majeur de l’architecture française où est désormais installée la fondation Avicenne.
Chargée de la vente, la maison Artcurial a estimé cette pièce unique entre 120 000 et 180 000 €, mais vu la cote actuelle de Jean Royère sur le marché international, il est probable que les enchères dépassent largement cette somme. La Chancellerie des universités de Paris a déclaré vouloir se servir de l’argent récolté pour mettre en place une bourse de 10 000 € destiné aux jeunes créateurs en arts plastiques et portant le nom de Jean Royère. Malgré son intention louable, cette annonce a provoqué un tollé chez ceux qui voient dans cette vente une marque du désintérêt de l’Etat pour le patrimoine français des arts décoratifs. Olivier Gabet, le directeur du MAD, a joint sa voix à celle de l’association Sites et Monuments, afin que le ministre de l’Education nationale fasse annuler cette vente. Leur volonté est qu’une institution spécialisée comme par exemple le Musée des arts décoratifs, auquel Jean Royère a légué ses archives, récupère le lustre. Obtiendront-ils gain de cause ? Réponse ce soir…
[Mise à jour] La vente s’est déroulée comme prévu le 19 novembre et le lustre de Jean Royère a atteint 281 800 €…