Interview : Rudy Ricciotti, architecte pamphlétaire

Concepteur du MuCEM à Marseille, du musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman à Menton, du département des arts de l’Islam du Louvre ou encore de la future Manufacture de la mode pour Chanel à Aubervilliers, Rudy Ricciotti, 67 ans,
adore se définir comme un « type paranoïaque ». Auteur prolixe d’essais pamphlétaires remarqués, ce fils de maçon italien est brut de décoffrage, et l’on soupçonne que c’est de la même énergie que procède son génie architectural. Mais lors de l’entretien
qu’il nous a accordé chez lui, à Cassis, impossible de se cantonner à la sphère architecturale : c’est comme critique des canons de la bienpensance que le polémiste Rudy Ricciotti se revendique avant tout.

Avec le musée du MuCEM, on a parlé de prouesse technique. Vous n’êtes pas seulement architecte, mais également ingénieur, artisan, voire défricheur. Cette superposition des savoir-faire est-elle le lot de tous les maîtres d’oeuvre ?
R.R. : Je ne me reconnais pas totalement dans le métier, pour dire la vérité. Il est difficile, juridiquement dangereux. Quand on parle avec des architectes, ils se disent écrasés par les réalités disciplinaires. De plus en plus, on se retourne contre eux pour obtenir des indemnités lorsqu’il y a des retards ou des difficultés de chantier. Moi, je ne suis pas seulement architecte. Je suis un pamphlétaire, avec un point de vue sur le monde, sur la société, sur l’esthétique.

La résille de béton du MuCEM (2013), à Marseille, en surplomb de la Méditerranée.
La résille de béton du MuCEM (2013), à Marseille, en surplomb de la Méditerranée. ©Lisa Ricciott

Le MuCEM est enveloppé d’une dentelle de béton. Vous avez déclaré : « Le béton a une image de mauvais fils. Prononcer son nom relève de l’insulte ou de l’outrage à magistrat.» D’où ce lien avec un tel matériau vous vient-il ?
C’est surtout qu’il a une vertu méconnue : si on lui attribue une empreinte environnementale de 1, alors celle de l’acier équivaut à 80 et celle de l’aluminium, à 220.

Le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman (2011) est sis au pied de la vieille ville de Menton.
Le musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman (2011) est sis au pied de la vieille ville de Menton. Olivier Amsellem

Vous dénoncez la délocalisation des emplois, et votre amour du béton est aussi celui d’une matière qu’on n’a pas besoin d’importer.
Absolument. C’est un matériau non spéculatif, on le produit sur place. Comme le blé pour le pain ou le raisin pour le vin, il pousse chez nous. On n’a pas besoin de piller les ressources des autres territoires. Ce qui m’intéresse, c’est l’échelle de liaison courte. Utiliser le béton, c’est un choix politique, esthétique et environnemental.

Avec sa structure étonnement fine, le Pont de la République (2014), à Montpellier, traverse le Lez « sur la pointe des pieds », selon les mots de Rudy Ricciotti.
Avec sa structure étonnement fine, le Pont de la République (2014), à Montpellier, traverse le Lez « sur la pointe des pieds », selon les mots de Rudy Ricciotti. ©Lisa Ricciott

Il y a cette anecdote sur le premier tour de table pour le MuCEM, avec des architectes internationaux. Chacun décline son nom et celui de la ville qui est associée à son cabinet. Et donc, vous annoncez : « Rudy Ricciotti, Bandol-sur-Mer »
Effectivement, il y avait « Zaha Hadid, London », « Rem Koolhaas, Rotterdam », « Machin, New York », etc. Moi, je suis de Bandol-sur- Mer. Et là, j’ai senti un sourire de commisération. Je me suis dit : « Je n’ai qu’une balle dans le canon, mais je vais la mettre dans l’os du front. » Et c’est ce qui s’est passé. Patrice Goulet, qui était le critique officiel de la Cité de l’architecture, à Paris, m’avait dit : « Quand tu vois les projets qui ont été proposés, ça donne l’impression qu’ils se sont ligués pour te faire gagner tellement ils se sont plantés. » Rem Koolhaas reproduisait un mini-Manhattan, Zaha Hadid avait fait une énorme verge qui frappait le fort Saint-Jean, le New-Yorkais (Steven Holl, NDLR) avait fait un musée avec un béton transparent qui n’existe pas : c’était prendre les gens pour des cons… Quand tu as un bord de mer comme ça, tu ne construis pas un puits de marbre… Marseille, ce n’est pas Dubaï ou la Chine, c’est un vrai territoire, avec une vraie question, une vraie matière, une vraie mémoire. Et je pensais à Montesquieu, qui avait écrit : « À courir l’exception, on court le ridicule.»

Pour concevoir et réaliser le MuCEM, Rudy Ricciotti a notamment fait appel à son fils Romain, ingénieur spécialiste des structures pour le bâtiment.
Pour concevoir et réaliser le MuCEM, Rudy Ricciotti a notamment fait appel à son fils Romain, ingénieur spécialiste des structures pour le bâtiment. ©Lisa Ricciott

> rudyricciotti.com

Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le hors-série Architecture n°17 d’IDEAT, actuellement disponible en kiosque et en version numérique.