Avec le musée du MuCEM, on a parlé de prouesse technique. Vous n’êtes pas seulement architecte, mais également ingénieur, artisan, voire défricheur. Cette superposition des savoir-faire est-elle le lot de tous les maîtres d’oeuvre ?
R.R. : Je ne me reconnais pas totalement dans le métier, pour dire la vérité. Il est difficile, juridiquement dangereux. Quand on parle avec des architectes, ils se disent écrasés par les réalités disciplinaires. De plus en plus, on se retourne contre eux pour obtenir des indemnités lorsqu’il y a des retards ou des difficultés de chantier. Moi, je ne suis pas seulement architecte. Je suis un pamphlétaire, avec un point de vue sur le monde, sur la société, sur l’esthétique.
Le MuCEM est enveloppé d’une dentelle de béton. Vous avez déclaré : « Le béton a une image de mauvais fils. Prononcer son nom relève de l’insulte ou de l’outrage à magistrat.» D’où ce lien avec un tel matériau vous vient-il ?
C’est surtout qu’il a une vertu méconnue : si on lui attribue une empreinte environnementale de 1, alors celle de l’acier équivaut à 80 et celle de l’aluminium, à 220.
Vous dénoncez la délocalisation des emplois, et votre amour du béton est aussi celui d’une matière qu’on n’a pas besoin d’importer.
Absolument. C’est un matériau non spéculatif, on le produit sur place. Comme le blé pour le pain ou le raisin pour le vin, il pousse chez nous. On n’a pas besoin de piller les ressources des autres territoires. Ce qui m’intéresse, c’est l’échelle de liaison courte. Utiliser le béton, c’est un choix politique, esthétique et environnemental.
Il y a cette anecdote sur le premier tour de table pour le MuCEM, avec des architectes internationaux. Chacun décline son nom et celui de la ville qui est associée à son cabinet. Et donc, vous annoncez : « Rudy Ricciotti, Bandol-sur-Mer »…
Effectivement, il y avait « Zaha Hadid, London », « Rem Koolhaas, Rotterdam », « Machin, New York », etc. Moi, je suis de Bandol-sur- Mer. Et là, j’ai senti un sourire de commisération. Je me suis dit : « Je n’ai qu’une balle dans le canon, mais je vais la mettre dans l’os du front. » Et c’est ce qui s’est passé. Patrice Goulet, qui était le critique officiel de la Cité de l’architecture, à Paris, m’avait dit : « Quand tu vois les projets qui ont été proposés, ça donne l’impression qu’ils se sont ligués pour te faire gagner tellement ils se sont plantés. » Rem Koolhaas reproduisait un mini-Manhattan, Zaha Hadid avait fait une énorme verge qui frappait le fort Saint-Jean, le New-Yorkais (Steven Holl, NDLR) avait fait un musée avec un béton transparent qui n’existe pas : c’était prendre les gens pour des cons… Quand tu as un bord de mer comme ça, tu ne construis pas un puits de marbre… Marseille, ce n’est pas Dubaï ou la Chine, c’est un vrai territoire, avec une vraie question, une vraie matière, une vraie mémoire. Et je pensais à Montesquieu, qui avait écrit : « À courir l’exception, on court le ridicule.»
Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le hors-série Architecture n°17 d’IDEAT, actuellement disponible en kiosque et en version numérique.