Un fauteuil est rarement vanté pour le dessin de ses accoudoirs. Sauf le Gilda de Carlo Mollino, parce que les siens, en bois clair, se prolongent jusqu’à devenir des pieds, créant un esthétique réseau de frêne teinté rouvre, ponctué à l’arrière de ferrures de laiton. Ces crans métalliques permettent de régler l’inclinaison du dossier avec quatre positions possibles et donnent au fauteuil Gilda un côté technique dénué d’austérité, luxe des finitions oblige. C’est d’ailleurs bien une impression de qualité qui émane spontanément de ce siège.
Le cuir de son revêtement, la fameuse pelle italienne, n’existe pas que dans la péninsule, mais c’est le pays où les artisans l’ont élevé au rang de religion. Chez Zanotta, on a choisi pour Gilda une pelle Scozia noire, blanche, marron, rouge ou verte. On l’imagine mal en jaune, peut-être à cause de l’audace déjà assez prononcée de ses lignes. À l’heure où certains designers remettent en question la notion même de confort au motif que l’inconfort peut maintenir nos sens en éveil, on vote chez Zanotta pour le programme opposé. Le confort y est une qualité non négociable.
La densité de ses volumes, Gilda la doit au polyuréthane Dacron, une fibre de polyester liée à chaud. Mais ce qu’on ressent immédiatement en s’asseyant, c’est que le siège est truffé de suspensions à spirales d’acier. Finalement, ce réseau de bois préminimaliste dessinant une unité entre piètement et accoudoirs est une sorte d’exercice d’équilibre dans la répartition des masses. Confortable, il ne vous tend pas pour autant les bras comme un bon fauteuil club.
En remettant le Gilda sur le marché, Zanotta a rendu hommage à la pertinence de l’univers de Carlo Mollino. Étiqueté « extravagant du design », ce dernier était également architecte, constructeur, professeur, pilote d’avions, pilote de course, à la poursuite des accélérations de son siècle. Un personnage pétri de singularités aussi étranges et floues que ses clichés de nus un brin interlopes, pris dans ses intérieurs aux mélanges vertigineux. Mollino, franc-tireur qui n’a suivi que lui-même, a su intéresser Zanotta, qui ne s’est jamais contenté de fabriquer des meubles. « Il est possible de faire à la fois des profits et de la culture », disait Aurelio Zanotta. Voilà pourquoi il s’est aussi attaché à développer un vrai travail d’éditeur.