L’histoire du fauteuil Proust démarre en 1976, quand l’architecte Alessandro Mendini et le designer Francesco Binfaré travaillent sur un tissu destiné au label Cassina. Mendini cherche l’inspiration en France, dans les lieux où a vécu Marcel Proust. Complètement hypnotisé par l’auteur d’A la recherche du temps perdu, il décide de lui dédier un fauteuil, d’abord produit par le studio Alchimia, atelier d’expérimentation entre art et industrie. Mendini milite alors pour le re-design, la réutilisation de formes éprouvées, tournant ainsi le dos à l’élaboration de nouveaux standards chers au Bauhaus. Chez Proust, comprendre le temps, c’est se ressouvenir. Mendini propose donc à ses contemporains une bergère Régence aux lignes exagérées, recouverte – bois du châssis compris – de motifs de prairie empruntés à une toile de Paul Signac. Avec le Proust, Mendini rompt avec le design industriel pur et dur, s’appuyant sur la capacité des objets à faire rêver. Ce fauteuil oscille entre kitsch et mix d’art, d’installation et de peinture.
Entre divisionnisme et pointillisme, Mendini applique à la main, sur son fauteuil, de petites touches de peinture acrylique que notre oeil mélange de lui-même. Il en produit ainsi une trentaine, uniquement des pièces uniques, pas numérotées mais datées. Décidément, tout ceci est vraiment très proustien ! En 1989, l’atelier Mendini devient le seul éditeur autorisé jusqu’en 1994. L’éditeur Giulio Cappellini décide cette année-là de distribuer le Proust dans une version dont le tissu est imprimé, en plusieurs versions, alternant bleu et gris, vert ou jaune. Pour Mendini, le Proust est, dit-il, un « siège-roman ». Il faut signaler qu’il a été créé pour orner le Palazzo dei Diamanti à Ferrara, théâtre du célèbre Romanzo di Ferrare de l’écrivain Giorgio Bassani, lui-même inspiré de la Recherche de Marcel Proust…
En 2009, Cappellini édite une nouvelle mouture baptisée Geometrica. La forme n’a pas changé alors que le tissu annonce un tout autre jeu de couleurs, comme si la palette Pop art de l’artiste américain Rosenquist éclatait sur un foulard Pucci. Cela évoque aussi bien les expérimentations des eighties que les peintres futuristes italiens. La liberté, l’ironie et l’opulence sans peur de Mendini sont toujours là, mais entre-temps Cappellini est devenu un acteur reconnu du design. Du coup, le Proust Geometrica fait plus penser à un siège de Mendini pour Cappellini qu’à l’original de 1978 resté une icône suprême.
En 2011, Magis édite une troisième version, cette fois en polyéthylène rotomoulé. Une prouesse technique mais aussi un paradoxe puisque le fauteuil se mue ainsi en véritable objet industriel. Pour autant, Alessandro Mendini assume cette « nouveauté vraiment inattendue » et l’argumente par l’envie d’offrir « une nouvelle énergie de couleurs et d’atmosphères à un objet intemporel ». Et pour cause, en plus d’un motif pointilliste qui évoque ses origines, le Proust revêt pour la première fois un habit monochrome, décliné en rouge, orange, bleu, noir ou blanc. De nouvelles finitions qui s’accompagnent d’une petite révolution. Avec cette nouvelle technique de production faisant appel au plastique, le fauteuil, plus résistant aux intempéries et aux rayons du soleil, s’autorise désormais une vie à l’extérieur tandis que son prix diminue considérablement. Une aubaine pour tous les fans du maestro qui pleurent sa disparition depuis le 18 février dernier.