À 15 km de la pointe sud de l’Espagne, à la jonction de l’Atlantique et de la Méditerranée, Tanger occupe depuis des siècles une place de premier plan dans les échanges commerciaux entre l’Afrique du Nord et le monde. Au VIIe siècle avant J-C, déjà, dans la baie sertie entre collines et forêts d’eucalyptus, les Phéniciens installent un comptoir et une nécropole encore visible sur la corniche. Les Romains y laissent à leur tour des traces importantes et leurs vassaux berbères s’en serviront plus tard comme d’un pont vers l’Andalousie.
Mais le XVe siècle sonne l’heure de la soumission au Portugal, à l’Espagne puis à l’Angleterre, qui reçoit la ville dans une corbeille de mariage royal en 1661. Rien ne dure jamais, aussi, Tanger, reprise en 1684 par le sultan du Maroc, Moulay Ismaïl, sera reconstruite vers 1687 : en découle l’actuelle casbah, partie militaire et administrative au faîte de la médina, le socle le plus ancien, mais toujours bien vivant et avec une mixité sociale surprenante. Enfin, en 1786, Tanger est promue capitale diplomatique du royaume chérifien. Siège de nombreuses légations, elle gagne en 1923 le statut de zone internationale, gérée par une dizaine de pays dont aucun ne veut perdre le contrôle du stratégique détroit de Gibraltar !
« Son architecture va alors emprunter à ces somptueuses légations en favorisant une silhouette moderne et un mode de vie plus occidental. À la fin du XIXe siècle, les habitations comportent de grandes fenêtres et des balcons sur la rue. Elles vont d’abord s’adosser aux remparts de la médina avant de s’étaler sur le littoral en dessinant différents quartiers internationaux », explique Rachid Tafersiti, président de l’association du patrimoine Al-Boughaz et auteur du beau livre Tanger, réalités d’un mythe (Zarouila, réédition en 2013). Itaf Benjelloun, une architecte d’intérieur ayant oeuvré à de scrupuleuses rénovations, enrichit d’ailleurs ce propos : « Contrairement à Casablanca, Tanger n’offre pas une architecture expérimentale, mais des copies parfaites. On peut facilement confondre un bâtiment du XVIIIe siècle et un autre du XIXe. »
De nos jours, les réalisations contemporaines arrivent à se fondre dans cet ensemble au point où il est franchement difficile de dater certaines constructions, dont l’allure puise clairement dans l’inconscient collectif en imitant des styles largement antérieurs. En fait, chacun a ici apporté sa pierre. Un rien agacé, l’écrivain et diplomate Paul Morand relevait même que, dans cette « fiction diplomatique », l’électricité était espagnole, les égouts anglais et les tramways français ! Mais ce sont surtout les courants architecturaux, piochés à travers différentes cultures et époques, qui signent la singularité tangéroise.
Ce patchwork brasse en effet islamisme, orientalisme, Art déco, modernisme, Bauhaus, expressionnisme, baroque… Ou encore rococo prussien, si l’on se réfère aux « terrasses » Renschhausen (1916), dans l’ex-avenue d’Espagne, devenue boulevard Mohammed-VI. Cette ancienne légation d’Allemagne, sous l’empereur Guillaume II, vient d’échapper à la destruction grâce à une poignée d’amoureux irréductibles. De même qu’un grand-père en djellaba et babouches peut croiser au détour de la médina un ado en jogging et baskets, une magnifique porte maure blanche ciselée, séculaire, dialogue parfaitement avec le décor en mosaïque bleu piscine du marché aux poissons voisin, typiquement fifties.
Les Portugais construisent au XVe siècle Bab al-Bahr, la « porte de la mer », une arche fameuse dans la muraille (classée), tandis que, un rien défraîchi, le mythique hôtel Continental (1870) continue de séduire avec son modernisme hispano-mauresque et ses terrasses donnant sur la baie. Au tournant des années 1900, les communautés espagnoles et juives font appel à l’architecte Diego Jiménez Armstrong. Celui-ci bâtit pour elles le prestigieux Grand-Théâtre Cervantès (1913), aujourd’hui en guenilles, avec ses sculptures en façade signées de l’artiste sévillan Cándido Mata Cañamaque. Le prolifique Diego Jiménez Armstrong réalise, en plus, des séries d’immeubles Art nouveau, ou même des cafés, dont le Tingis, rendez-vous apprécié place du Petit-Socco.
L’Américain Stuart Church, lui, édifie des villas privées et le trendy El Morocco Club, où le tout-Tanger dîne désormais dans un décor conçu par Yves Taralon. Quant aux Italiens, ils ont pavé la ville et les allées de marbre de Carrare. Toujours au tournant du XXe siècle, des réalisations françaises s’invitent dans le paysage, telles que l’hôpital Al-Kortobi (encore en activité) ou le lycée Regnault (1913, architectes : Desforges et Rousseau), flanqué de sa villa mauresque avec jardin de palmiers, réservée, le croirez-vous… au proviseur.
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