Janvier 2017. Après une période de difficultés et de fortes tensions internes, la famille Lladró cède son entreprise de porcelaine à Alexander Wit et Jordi Bricio, directeurs associés du fonds d’investissement espagnol PHI Industrial Acquisitions. Une nouvelle direction est nommée et, pour le poste de responsable de la création, les têtes chercheuses de l’entreprise retiennent Pierre Favresse. À moins de 40 ans, le diplômé de l’école Boulle et de l’École nationale supérieure des arts décoratifs affiche déjà un joli parcours de designer, qui l’a propulsé à la tête de la création d’Habitat. « Participer au développement de l’une des plus belles manufactures d’Espagne et revenir au cœur de la création sont des enjeux très excitants, abonde Pierre Favresse. Ce qui leur a plu, je pense, c’est ma formation, mon parcours entre design et arts décoratifs, et cette touche française de savoir-faire. Cela va dans le sens de l’élégance et du luxe, de l’approche internationale qui était recherchée. »
Interrogé par le journal espagnol Cinco Días à l’époque du rachat sur les leviers d’amélioration de Lladró, Alexander Wit en citait en effet deux : « L’un est le processus d’impulsion et de création de pièces plus modernes que le marché exige pour attirer un public plus jeune. […] L’autre, que la famille a déjà amorcé avec succès dans certaines catégories, est que Lladró devienne une marque de porcelaine de luxe d’ici à cinq ans. […] Il existe déjà l’éclairage, les figurines, les bijoux. » Nommé en janvier 2018, Pierre Favresse va devoir faire coexister tradition et modernité avec, pour priorité, deux missions. La première est le « nettoyage » des gammes. S’il n’est pas question de renoncer à l’offre classique, qui plaît et s’exporte encore, comme les pièces d’exception d’« Alta Porcelana », le nouveau responsable doit tout réorganiser. « Nous allons procéder par collection, alors que jusqu’ici la segmentation découlait plutôt des objets proposés par les sculpteurs », indique-t-il. L’autre démarche consiste à innover. Là, Pierre Favresse va pouvoir étancher sa soif de créativité. Si, en 2007, Jaime Hayón avait, en tant que collaborateur, amorcé un virage en ce sens, un gros travail reste à faire.
Nouvel éclairage créatif
« Jaime a amené de la modernité à l’entreprise et ciblé une clientèle nouvelle, reconnaît Pierre Favresse. Mais même s’il a été directeur de collection, il n’a jamais eu, lui, la main sur l’intégralité de la production, ce qui est mon cas aujourd’hui. C’est ce qui me permet d’avoir une grande liberté d’expression et d’explorer de nouveaux territoires. » Parmi ceux-ci, les luminaires, composés d’une dizaine de collections actuellement, devraient voir leur volume doubler d’ici à deux ou trois ans. Le renouveau qui accompagne cette famille de produits était déjà à l’œuvre chez Lladró – un virage pris il y a cinq ans, lorsque la marque est passée de sculptures éclairées à un luminaire qui intègre la porcelaine. Mademoiselle Daniela, certaines lampes de la collection « Firefly » ou, plus récemment, « Jamz », témoignent de ce changement.
Mais l’entreprise compte aller plus loin dans ce secteur, à tel point qu’en janvier, au salon Maison & Objet, une gamme chapeautée par Marcel Wanders vient d’être dévoilée. C’est là le souhait de Pierre Favresse : « Aller chercher des designers et des artistes, et les inciter à travailler sur d’autres univers que les leurs. Je veux moi-même m’autoriser plus de liberté de création, être moins dans l’épure. Cela, je peux me le permettre grâce à tous ceux qui m’entourent. » L’équipe créative, actuellement composée de 35 personnes, peut en témoigner. Celle-ci rassemble six sculpteurs, six designers dont trois ont été récemment embauchés à l’instar de la nouvelle responsable du design, Nieves Contreras, huit spécialistes de l’ornementation, huit techniciens, cinq décorateurs, un coordinateur de la création et une assistante. « J’ai découvert une incroyable maîtrise du geste dans cette manufacture, explique-t-il. Car même si nous modernisons et innovons en intégrant des outils numériques, l’essentiel du travail reste manuel. C’est ce qui me fascine et qui force mon respect. Avec eux, je peux tout imaginer, l’enthousiasme est là à chaque projet. »