Nous sommes dans le quartier émergent de Poblenou. Le Théâtre national de Catalogne et l’Auditorium font la jonction avec le centre-ville. Dans une longue avenue qui mène à la mer, une superbe bâtisse en brique rouge donne le ton. Impossible de ne pas la remarquer : sobre, puissante, distribuée tout en longueur, sa façade est inclassable. À l’entrée, une enseigne discrète affiche : « Lagranja, design for companies and friends ».
Derrière ce nom se cache l’une des entreprises d’architecture et de design les plus dynamiques en Espagne, avec également des antennes à Istanbul et à Singapour. Aux commandes, deux vieux copains dont la complicité est sans limites, Gabriele Schiavon et Gerard Sanmartí. « Aujourd’hui, nous nous considérons comme un vieux couple… Nous nous sommes connus lorsque nous étions étudiants, en Italie, plus précisément à la Fabrica de Benetton, à la grande époque d’Oliviero Toscani (le photographe qui avait signé les campagnes de publicité chocs de la marque de prêt-à-porter dans les années 80 et 90, NDLR). Nous sortions tout juste de l’école, c’était vers la fin des années 90, une période magique où tout était possible. Comme tant d’autres, nous avions des rêves plein la tête », se souvient Gabriele.
Lui sortait de la faculté d’architecture de Venise et Gerard arrivait de l’école de design Elisava à Barcelone. Après quelque temps passé à Milan, où ils rencontrent Ettore Sottsass, Michele De Lucchi et Aldo Cibic, ils voyagent de par le monde. Ils se retrouvent ensuite autour d’un projet pour Camper, alors toute jeune entreprise installée à Majorque. C’est ainsi qu’en 2002 Gabriele et Gerard ouvrent leur premier studio à Barcelone, minuscule, rue de la Granja, dans le quartier de Gràcia.
« Nos débuts étaient ponctués des projets les plus variés et éclectiques, comme celui de Mantoue, où, dans le Palazzo del Te, nous avions monté une exposition sur la famille Gonzague, ou bien celui du voyage aux îles Hawaii pour un concours de cabanes dans les arbres », poursuit Gerard. Il y a douze ans, un de leurs clients qui souhaite ouvrir un restaurant dans une ancienne biscuiterie en lisière de la ville, leur demande d’intervenir. Mais, finalement, il lui est impossible d’obtenir sa licence. Alors les deux amis saisissent l’occasion et décident de reprendre la fabrique pour y installer leur propre atelier.
« Un site exceptionnel par ses volumes, sa superficie (400 m2) et son emplacement stratégique. Un lieu chargé d’histoire, avec beaucoup de caractère : tout ce que nous aimions… Malgré la période de profonde crise économique, sans trop réfléchir, nous avons osé et nous nous sommes lancés dans l’aventure. Nous voulions un endroit agréable pour nous agrandir, où travailler en harmonie avec nos collaborateurs », raconte Gabriele.
Depuis le mouvement impulsé par les Jeux olympiques de 1992, Poblenou avait déjà commencé à se transformer. Mais il a fallu du temps pour que, peu à peu, ce quartier oublié se réveille et abandonne son caractère industriel pour se convertir en repaire de créatifs. Des architectes, des artistes, des décorateurs, suivis par des entreprises du secteur tertiaire se sont approprié d’anciennes usines et des laboratoires.
« Avec ses grands espaces et ses prix modérés, le secteur s’est très vite métamorphosé. De grandes réalisations sont sorties de terre aux alentours : le Disseny Hub, musée du Design conçu par MBM Arquitectes ; la tour Agbar pour la compagnie des eaux, de Jean Nouvel ; le Nou Mercat dels Encants, plateforme de Fermín Vázquez édifiée à la place du marché historique, qui abrite, depuis, plusieurs activités… Pendant ce temps, le secteur résidentiel s’est développé ; boutiques, restaurants et cafés se sont installés, donnant vie au quartier. Nous avons fait le bon choix ! », ajoute Gerard.