Si vous arrivez à São Paulo en taxi depuis l’aéroport, il y a des chances que vous passiez à côté d’une étrange architecture… Un complexe de béton de 78 000 m2 composé, notamment, d’une toiture en forme de vague et d’une gigantesque sculpture. Celle d’une main dont la paume est marquée d’une « tache » couleur sang dessinant la carte du continent latino-américain. Cet hommage aux résistants de l’ère coloniale inauguré en 1989 est le Mémorial de l’Amérique latine, conçu par Oscar Niemeyer (1907-2012) afin d’accueillir toutes les formes d’art.
Si, de nos jours, le Brésil reste politiquement instable, la créativité de ses habitants en général et de ceux de « Sampa » en particulier demeure légendaire. À l’heure où la liberté d’expression est remise en question par les autorités gouvernementales et les lobbys du pays les plus conservateurs, l’attrait à la fois local et international pour l’art brésilien est à son plus fort. À l’occasion de la dernière édition de SP-Arte, la plus importante foire d’art moderne, d’art contemporain et de design du Brésil, qui se tient chaque année en avril, ont été ouvertes aux visites de nombreuses collections d’art privées et publiques, implantées dans des architectures historiques ou contemporaines, souvent des maisons particulières du XXe siècle.
Etablis depuis 1992 dans deux anciens garages situés dans le quartier populaire de Santa Cecília, les designers Humberto et Fernando Campana pensent d’ailleurs ouvrir un espace d’exposition et de vente dans une de ces maisons. Leur modèle ultime est la Casa de Vidro, un refuge pour les artistes de toutes les générations.
Pour découvrir celle-ci, une balade dans le quartier résidentiel de Morumbi, ancienne portion de la jungle autrefois proche du tissu urbain de São Paulo, s’impose. L’étonnante résidence moderniste y fut édifiée en 1951 par Lina Bo Bardi (1914-1992) et Pietro Maria Bardi (1900-1999). Venus de Rome, l’architecte pluridisciplinaire et le critique d’art, tous deux à l’initiative du musée d’Art de São Paulo, le MASP, ont imaginé la Casa de Vidro comme une maison de verre, presque sans cloisons. Suspendue sur pilotis au-dessus du site qu’elle occupe, la villa brésilienne offre une vue imprenable sur la nature environnante et plonge le visiteur dans la passion du couple Bardi pour les arts, à commencer par ceux de l’Égypte et de la Grèce antique.
Le lieu fut un des points de rencontre et d’échange majeurs pour les artistes et les architectes de passage dans le pays, tels Alexander Calder ou Gio Ponti. Devenu une maison-musée gérée par l’Instituto Bardi, il a récemment accueilli des expositions organisées par des curateurs de premier plan, comme Hans-Ulrich Obrist. Grâce à l’acquisition d’un fonds documentaire de 7 500 ouvrages, de mobilier et d’objets d’art de la famille Bardi ayant été dispersés au fil du temps, la Casa de Vidro a pu être reconstituée telle qu’à ses plus beaux jours. On y retrouve le mobilier original créé par Lina Bo Bardi, pour ce projet aussi bien que pour d’autres, à l’instar du complexe sportif et culturel SESC Pompeia, achevé en 1986. Aussi la finalité sociale de cette « maison des arts », telle qu’elle fut envisagée par sa créatrice, est-elle perpétuée ; des ateliers réunissant enfants et artistes s’y tiennent régulièrement.
Une renaissance qui repose sur le support financier d’Etel, le plus important éditeur de mobilier d’architectes brésiliens tels Gregori Warchavchik (1896-1972) et Oswaldo Arthur Bratke (1907-1997). On doit à ces autres précurseurs du modernisme à São Paulo, respectivement, la Casa Modernista (1928) et la Fondation Maria Luisa et Oscar Americano (1953), dont la collection relate l’histoire du Brésil.
Depuis quelques années, le patrimoine architectural moderniste inspire également les galeristes d’art contemporain. À l’image de Luciana Brito, qui, après vingt ans d’activité dans un white cube traditionnel, a implanté sa galerie dans une maison du secteur des Jardins signée par l’architecte Rino Levi : 500 m2 de surfaces d’exposition millésimées 1958, sauvées de la démolition par un particulier et que la galeriste a fait rafraîchir avec parcimonie. De même que son jardin, pensé par le grand architecte paysagiste Roberto Burle Marx (1909-1994), qui a également réalisé le parc public qui porte son nom – une oasis à la fois graphique et sauvage – ainsi que le parc Ibirapuera (1954) – le deuxième plus grand de la ville –, avec Oscar Niemeyer.
C’est juste avant de livrer Brasilia que ce dernier a pensé l’ensemble des bâtiments de cet espace vert, dont le pavillon Padre Manuel da Nóbrega (qui abrite aujourd’hui le musée Afro Brasil), le pavillon Ciccillo Matarazzo (où les foires et les biennales d’art de São Paulo se déroulent depuis 1957) et son étonnant auditorium, qui n’est sorti de terre qu’au début des années 2000.