En 2010, la tour CMA CGM signée Zaha Hadid faisait figure de pionnière de la hauteur à Marseille. L’édifice nous avait laissés sur notre faim tant son dessin pataud et daté discordait avec la volonté d’inscrire la cité phocéenne dans le XXIe siècle. Depuis, la construction de trois nouvelles tours a été actée dans le quartier d’Euroméditerranée en ébullition. À l’étude, celles de Jean-Baptiste Pietri et d’Yves Lion offriront des appartements avec une vue imprenable sur la Grande Bleue.
En attendant, Jean Nouvel vient d’achever La Marseillaise, deuxième acte fort de la réhabilitation des quais d’Arenc. Plus contextuel que jamais, l’architecte français a imaginé un bâtiment très incarné, si ancré dans la culture locale qu’il serait difficile de le voir édifié ailleurs. Un choix assumé et revendiqué : « Les tours, tout autour de la Terre, se ressemblent trop, regrette-t-il. Elles paraissent souvent interchangeables et pourraient exister n’importe où. Elles qualifient trop rarement leur ville. Elles sont élevées mais anonymes. »
Haute de 135 mètres, La Marseillaise abrite un programme de 38 000 m2 comprenant des bureaux répartis sur 31 niveaux, mais également un restaurant interentreprises, une crèche de 26 berceaux, une conciergerie ou encore des commerces situés en pied d’immeuble. Haribo a déjà pris ses quartiers aux 17e et 18e étages. Suivront, d’ici à la fin de l’année, Orange, Sodexo, Constructa et la Métropole Aix-Marseille Provence, occupant principal de la tour, du 4e au 15e. Pour Jean Nouvel, il était hors de question de céder à la banale facilité d’un parallélépipède de verre aux façades réfléchissantes. L’enveloppe de La Marseillaise est pensée dans sa profondeur et révélée par la couleur afin de s’ancrer pleinement dans le territoire phocéen. « Cette tour singulière a pour ambition d’appartenir clairement à l’épaisseur de l’air marin méditerranéen. Elle affiche ses désirs de jouer avec le soleil, de dessiner des ombres dans le ciel », révèle encore l’architecte. Ainsi, chaque orientation possède sa spécificité.
Les façades, bien qu’obéissant à un principe commun, sont toutes traitées différemment. Réalisés en BFUP (béton fibré à ultra-hautes performances), des brise-soleil protègent les espaces intérieurs de la lumière franche du Sud et façonnent la profondeur en piochant dans une palette de 30 nuances. Signature de l’édifice, la complexité chromatique se décline autour de trois couleurs principales issues du paysage environnant : le bleu de la mer, l’ocre et le rouge de la terre cuite de l’architecture marseillaise et le blanc des nuages. Clin d’œil au drapeau hexagonal, nom de baptême à double sens.
Abolir les limites franches entre intérieur et extérieur, telle était la volonté de Jean Nouvel. Les brise-soleil se retournent sur les plafonds, brouillant les pistes pour mettre la Grande Bleue à portée de main. Car c’est bien la Méditerranée qui joue ici le premier rôle. Quant aux couleurs, elles s’effacent progressivement dans les espaces de travail, à mesure qu’on approche du noyau central en béton, qui renferme ascenseurs et escaliers. Minérale, cette tour n’en est pas moins légère. Vibrant selon la lumière et le soleil, réactive à son contexte, elle rompt avec les codes traditionnels des gratte-ciel.
Autre marotte de l’architecte : la volonté de ne pas achever brutalement son bâtiment. Technique, le 31e étage comprend des terrasses et une structure ouverte qui se fond dans le ciel phocéen. La Marseillaise a été réalisée par le géant des BTP Vinci, qui a profité de l’envergure de l’opération pour ouvrir une usine de fabrication de BFUP à Marignane. Ce chantier a nécessité la présence de 290 compagnons en moyenne, jusqu’à 500 par moments. Bientôt, 2 500 personnes arpenteront l’ensemble des niveaux de la tour, nouvel emblème contemporain de la deuxième métropole de France.